Le désir est un sport de combat

Par Rébecca Lévy-Guillain

Broché (21 €)

Disponible sur Amazon, Fnac ou En librairie

Ebook (12,00)

Disponible ci dessous au format PDF

240 pages

En bref

« Je ne suis pas ton colocataire », « J’ai mal à la tête », « Pas ce soir » : l’affaiblissement du désir sexuel chez les femmes et son intensité chez les hommes sont une importante source de conflit conjugal. Mais d’où viennent vraiment ces différences ? Encore récemment, une vision biologisante les décrivait naturelles, innées et inéluctables. Depuis quelques années, elles sont interprétées sous le prisme de la domination masculine : les femmes n’auraient pas moins de libido mais seraient empêchées de l’exprimer. Cependant, la régularité et la persistance des tensions autour du désir invitent à approfondir cette réflexion. Sans nier le rôle des facteurs interpersonnels, cette enquête déplace le regard vers des éléments structurels. En scrutant les processus sociaux qui participent à l’apprentissage du désir et à la production des tensions conjugales, elle montre comment le désir s’apprend, se construit et peut, sous certaines conditions, s’exprimer de manière plus apaisée.

Le désir sexuel et le plaisir se construisent socialement. Et ils s’apprennent. Les discordances entre les femmes et les hommes ne sont donc pas une fatalité. En soulevant le voile sur le poids des structures sociales, ce livre offre des pistes libératrices pour éclairer notre propre expérience et penser un plaisir commun.

 

Rébecca Lévy-Guillain est sociologue, spécialiste de la sexualité et des rapports de genre, elle effectue ses recherches à Sciences Po Paris, au Centre de Recherche sur les Inégalités Sociales et à l’Ined. 

Presse

Le Monde

La grande majorité des témoignages recueillis dans le cadre de cette enquête décrivent le même schéma conjugal, au sein du couple hétérosexuel : le désir des femmes s’émousserait plus vite que celui des hommes, suscitant chez ces derniers une frustration qu’ils ont du mal à gérer. Sentiment d’injustice, d’incompréhension et désarroi viennent alors les tourmenter…

 

Sommaire

« Pas ce soir »

Cet obscur objet qu’est le désir

Une cristallisation contemporaine

Une approche sociologique du désir

Des normes sexuelles genrées : entre permanence et changement

Des mécanismes d’apprentissage à géométrie variable

Sexualité et construction identitaire

Sexualité et intimité

Une approche empirique

I. La genèse du désir

La naissance d’un « corps plaisir »

La fabrication d’un « corps contrôle »

L’édification d’un « corps anesthésié »

II. Construction de l’imaginaire sexuel

Côtoyer des scénarios sexuels

S’approprier des scénarios sexuels

Coupler scénarios sexuels et sensations d’excitation physique

III. « Je me suis forcée »

Quand l’absence de désir devient une question identitaire

La spirale de l’autodévalorisation

Scènes de la vie du désir conjugal

IV. « Je ne suis pas ton colocataire »

Une façon d’(é) prouver son appartenance au groupe des hommes

Un vecteur de lutte contre la solitude

Un vivier émotionnel et un rempart contre la dépression

V. Des femmes désirantes

Prendre conscience de son droit à désirer

Penser à des scénarios érotiques pour développer son imaginaire sexuel

Sensibiliser son corps pour ressentir de l’excitation

VI. Des hommes flexibles

Avoir fait l’expérience d’un apprentissage émotionnel précoce et intense

Un environnement où le prestige n’est pas essentiellement fondé sur la sexualité

VII. Épilogue

Les scénarios culturels cristallisent les enjeux et conflits autour du désir

 

Extrait

« Je ne suis pas ton colocataire »

Les hommes font un apprentissage plus précoce et plus intense du désir et en éprouvent donc, à l’âge adulte, plus fréquemment que les femmes. Au sein des couples hétérosexuels, il n’est pas rare que les hommes tentent d’instiguer une relation sexuelle et que leur partenaire ne soit pas sur la même ligne. Et comme les expériences non désirées sont coûteuses pour les femmes, elles tentent de décliner les propositions dont elles n’ont pas envie. Or, ces refus posent problème aux hommes.

Les hommes se présentent souvent comme démunis face à cette problématique et se trouvent en proie à de fortes incompréhensions. Le premier réflexe est alors la dévalorisation, comme l’illustre un entretien mené auprès de Paul, commercial, âgé de 60 ans, marié depuis vingt huit ans et père de trois enfants : « Je sais pas s’il y a un truc que j’ai mal fait, parfois je me demande si ce n’est pas moi le problème, que je suis pas à la hauteur, qu’elle aimerait que je sois autrement, mais je sais pas et comme on en parle pas… Non je ne sais pas ». 

Parfois, certains hommes m’interrogent directement, soit parce qu’ils ne disposent pas de personnes de confiance dans leur réseau d’interconnaissances, soit parce qu’ils estiment que je suis bien informée puisque je parle aussi à des femmes et que je travaille sur des questions qui sont liées à leurs préoccupations : « Vous en pensez quoi ? », « Mais toi, tu dois savoir pourquoi, non ? », « Mais elles [les femmes], elles te disent quoi ? ». 

Si les hommes vivent si mal les discordances de désir c’est parce que la sexualité remplit chez eux plusieurs fonctions fondamentales, ce qui les conduit à accorder une importance capitale aux expériences sexuelles. Dans ce chapitre, j’examine successivement les trois fonctions différentes que peut endosser la sexualité pour les hommes, parfois simultanément, parfois de façon disjointe.

Une façon d’(é) prouver son appartenance au groupe des hommes

Dans son enquête auprès d’hommes âgés de 30 à 59 ans, Beth Montemurro constate que les hommes cherchent tous à se présenter comme des partenaires désirables afin de se rassurer sur leur masculinité et de montrer qu’ils sont « à la hauteur de leur sexe ». Pour ce faire, ils ont recours à trois types d’« histoires preuves » (« evidentiary stories »). La plupart d’entre eux rapportent les propos tenus par certaines de leurs partenaires (anciennes ou actuelles) qui leur auraient affirmé être satisfaites – voire impressionnées – par leurs compétences sexuelles. Les hommes plus âgés évoquent leurs conquêtes passées ou l’apparence prétendument séduisante dont ils bénéficiaient jeunes, tandis que d’autres mentionnent leurs muscles ou leurs aptitudes respiratoires. Je retrouve moi aussi, chez les hommes que j’ai interrogés, cette importance accordée à la sexualité et aux jugements émis par les femmes sur leurs performances sexuelles. Ainsi Vincent évoque une relation romantique de six mois, entretenue avec une camarade de Lycée dont il était très amoureux mais avec laquelle il n’a jamais réussi à maintenir une érection suffisamment longtemps pour pouvoir la pénétrer « parce qu’elle était vierge » et parce qu’il redoutait de lui faire mal. Étudiant en psychologie âgé de 25 ans, il explique son mal-être ressenti à l’époque : « un homme s’il ne baise pas régulièrement c’est plus un homme ». Après leur séparation, son ex-partenaire « couche avec tous [s]es potes », ce qu’il interprète comme une vengeance et une punition visant à lui signifier ses déficiences. D’autres récits laissent transparaître des raisonnements similaires, quand bien même ceux-ci ne sont pas toujours conscientisés. Imprégnés par des scénarios culturels, ils craignent de devenir de « simple[s] colocataire[s] » et donc d’être quittés pour un autre homme qui répondrait mieux aux exigences de la masculinité. Si elle est exprimée plus directement par les classes populaires, cette anxiété concerne les hommes de tous les milieux sociaux et de tous les âges. Elle est accrue chez les plus jeunes car les enjeux associés à la sexualité ont tendance à s’amenuiser avec l’âge.

Au mois de mai de son année de Terminale, Alexis se met en couple avec Garance, une camarade de classe. Lui a déjà eu des rapports sexuels occasionnels avec deux partenaires rencontrées sur une application de rencontre. Elle n’a encore aucune expérience et se montre par ailleurs « très réservée ». « Elle n’avait jamais rien connu, même pas embrassé un garçon, rien du tout quoi ». Leur découverte de la sexualité est progressive et agréable. Elle et il passent l’été ensemble et expérimentent, testant différentes positions, variant les lieux et les scénarios. À la rentrée, leur sexualité est contrainte à cause de leurs emplois du temps chargés mais continue d’être épanouissante et satisfaisante. Mais après les vacances de Noël, « tout commence à capoter ». Garance dit ressentir moins de libido et fait preuve de plus en plus de réticence à l’idée de s’engager dans des rapports sexuels. Ce changement inquiète Alexis qui, malgré les tentatives de réassurance de sa copine, s’interroge sur sa désirabilité en tant que partenaire sexuel et en tant qu’homme…