Israël face à son passé

Par Schlomo Sand et Derek Penslar

Broché (15,20 €)

Disponible sur Amazon, Fnac ou En librairie

190 pages

En bref

Il en va d’un État comme d’un individu : rien n’est plus sensible que la question des origines. Établir la vérité sur les conditions d’une naissance constitue un véritable défi. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies partage la Palestine en deux États, juif et arabe, et une zone internationale pour Jérusalem.
Un an plus tard, la guerre de 1948 dessine un tout autre paysage : l’État d’Israël a vu le jour et agrandi son territoire d’un tiers, l’État arabe mort-né est partagé entre ses voisins, et 800 000 Palestiniens ont pris le chemin de l’exode. Pourquoi et comment le plan de partage onusien a-t-il avorté ?
Telle est la question à laquelle répondent les «nouveaux historiens» israéliens, à l’aide des archives ouvertes, 30 ans après les événements, par leur État.

Ces chercheurs, qu’opposent aussi bien sensibilité que méthodologie, n’en ont pas moins mis à nu le récit orthodoxe sur lequel reposait l’idéologie de l’État d’Israël.

Né en 1946 en Allemagne, Shlomo Sand grandit en Israël où il participe à la guerre des Six Jours comme simple soldat. Professeur à l’université de Tel Aviv, il s’intéresse aujourd’hui à l’histoire juive. Il a publié en France plusieurs ouvrages dont Comment le peuple juif fut inventé ?

Derek Penslar professeur d’histoire à l’université de Toronto. Né en 1958, ses recherches sur le mouvement sioniste et l’histoire de l’Etat d’Israël ont fait l’objet de nombreuses publications en langue anglaise. Né en 1945 dans une famille juive irakienne ayant émigré en 1950 à l’issue de la première guerre israélo-arabe, Avi Shlaïm est une des figures majeures de la  » nouvelle histoire « . Professeur à Oxford, où il enseigne les relations internationales, son dernier livre, Le mur de fer. Israël et le monde arabe, a été récemment traduit en français.

Presse

En attente

Sommaire

Un acquis irréversible, par Dominique Vidal

Post-sionisme : un bilan provisoire, par Shlomo Sand

  • Le contexte institutionnel
  • La guerre de 1948
  • Face aux survivants
  • La colonisation sioniste
  • Le passé juif, une histoire nationale ?

La guerre des historiens, par Avi Shlaïm

Au delà du révisionnisme, par Derek Jonathan Penslar

  • Les nouvelles orientations de l’historiographie israélienne
  • La révolution historiographique et ses conséquences
  • Historiens israéliens et historiens d’Israël
  • Les tendances principales de l’histoire de la société israélienne
  • Le conflit israélo-arabe : un nouveau consensus

 

 

Extrait

Un acquis irréversible

Il en va d’un État comme d’un individu : rien n’est plus sensible, et souvent douloureux, que la question des origines. Éclairer les conditions d’une naissance constitue donc parfois un véritable défi. C’est en le relevant que les « nouveaux historiens » israéliens se sont fait connaître : ils se sont en effet penchés sur la guerre de 1948, qui marque à la fois la création de l’État d’Israël, la disparition de la Palestine et l’apparition du problème des réfugiés palestiniens. Ils ont ainsi montré comment le plan de partage décidé par l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947 – un État juif, un État arabe et une zone internationale pour Jérusalem et les Lieux saints – avait avorté… Que ces chercheurs se soient livrés à cette introspection historique ne doit évidemment rien au hasard. Deux types d’événements, l’un professionnel et les autres politiques, les y ont fortement incités.

Le premier, c’est l’ouverture, trente ans après les événements, des archives israéliennes. Si une partie des documents n’a pas été d’emblée déclassifiée, ceux qui devenaient accessibles suffisaient à rétablir la réalité de la guerre judéo-palestinienne, puis israélo-arabe, du plan de partage onusien de novembre 1947 aux armistices de 1949.

Le second, c’est d’abord, en juin 1982, l’invasion du Liban par Israël, suivie en septembre des massacres de Sabra et Chatila, puis, fin 1987, l’éclatement de la Première Intifada. Le problème palestinien, dont les chercheurs avaient commencé à éclairer les causes passées grâce aux archives, revenait ainsi au centre de la scène proche-orientale contemporaine.

Une dizaine d’années de travaux minutieux suffiront à l’édition, en anglais, de premiers livres. Simha Flapan publie ainsi The Birth of Israel. Myths and realities (Pantheon Books, 1987) ; Avi Schlaïm Collusion across the Jordan. King Abdullah, the Zionist movement and the partition of Palestine (Clarendon Press, 1988) ; Ilan Pappé Britain and the Arab-Israeli conflict, 1948-1951 (Macmillan, 1988) ; et Benny Morris The Birth of the Palestinian refugee problem, 1947-1949 (Cambridge University Press, 1988).

Bientôt viendra une deuxième vague d’ouvrages centrés, eux aussi, sur la guerre de 1948. Pappé approfondit ses thèses dans The Making of the Arab-Israeli conflict, 1947-1951 (Tauris, 1992), et Benny Morris les siennes dans 1948 and after, Israel and the Palestinians (Clarendon Press / Oxford University Press, 1990). Ce dernier livrera, en 2004, une seconde édition, complétée et actualisée, de The Birth of the Palestinian refugee problem (Cambridge University Press). À l’exception de deux livres de synthèse qui leur sont consacrés 1, l’édition française ignorera les «nouveaux historiens» israéliens pendant plus de dix ans. Il faudra attendre l’an 2000 pour qu’Ilan Pappé soit traduit : La Guerre de 1948 en Palestine (La Fabrique), puis Les Démons de la Nakbah (même éditeur, 2004) et enfin Le Nettoyage ethnique de la Palestine (Fayard, 2008). Entre-temps, la version française d’un livre collectif dirigé par Eugène Rogan et Avi Shlaïm, 1948. La Guerre de Palestine : derrière le mythe est proposée en 2002 par les éditions Autrement. Paradoxalement, aucun des ouvrages de Benny Morris n’a eu les honneurs d’une édition française – sauf Victimes, chez Complexe, qui porte sur toute l’histoire du conflit judéo-palestinien et ne traite que brièvement le choc de 1948.

Il est évidemment impossible de synthétiser en quelques pages les découvertes de tous ces auteurs. Disons, pour schématiser, qu’ils ébranlent trois mythes de l’historiographie traditionnelle.

Le premier a trait à la menace mortelle qui aurait pesé sur Israël à l’époque. Comme l’écrit Benny Morris,  la carte qui montre un minuscule Israël et un environnement arabe géant ne reflétait pas avec exactitude – et, jusqu’ici, ne reflète toujours pas – le véritable rapport des forces militaires dans la région2». Contrairement à la légende dépeignant un frêle État juif à peine né et déjà confronté aux redoutables armées d’un puissant monde arabe, les «nouveaux historiens» confirment la supériorité croissante des forces israéliennes (en effectifs, armement, entraînement, coordination, motivation…) à la seule exception de la courte période du 15 mai au 11 juin 1948.

À quoi s’ajoutent, pour Israël, l’appui politique des États-Unis et le soutien diplomatique et militaire de l’URSS – même lorsque la répression s’abattra sur les Juifs soviétiques, le Kremlin continuera de livrer des armes à Israël.

Dernier élément, étudié par Avi Shlaïm : l’accord tacite passé le 17 novembre 1947 (soit douze jours avant le plan de partage des Nations unies) par Golda Meir avec le roi Abdallah de Transjordanie. Il constitue une garantie stratégique majeure pour Israël : la Légion arabe, seule armée arabe digne de ce nom, s’engageait à ne pas franchir les frontières du territoire alloué à l’État juif en échange de la possibilité d’annexer celui prévu pour l’État arabe. Ce plan sera effectivement mis en œuvre : si la Légion arabe participe à la guerre à partir du 15 mai 1948, elle ne pénètre pas en territoire israélien et ne prend jamais l’initiative d’une bataille d’envergure – sauf à Jérusalem, exclue de l’accord. D’ailleurs, ce schéma du 17 novembre 1947 se substituera bel et bien, à la fin des hostilités, au plan de partage des Nations unies : la Transjordanie occupera et annexera la partie arabe de la Palestine, moins les zones conquises par Israël, qui a augmenté d’un tiers son territoire, et la bande de Gaza occupée par l’Égypte…

Le deuxième mythe concerne la volonté de paix qu’aurait manifestée Israël au lendemain de la guerre. La conférence de Lausanne a notamment été étudiée par Avi Shlaïm et par Ilan Pappé. Les archives montrent qu’Israël y est surtout venu pour obtenir de devenir membre des Nations unies. À cette fin, Tel Aviv ratifie, le 12 mai 1949, un protocole réaffirmant à la fois les résolutions onusiennes 181 (le plan de partage) et 194 (le droit au retour des réfugiés). Mais il reviendra sur sa signature : comme l’écrit un mois plus tard Walter Eytan, codirecteur général du ministère israélien des Affaires étrangères, «mon principal objectif était de commencer à saper le protocole du 12 mai, que nous avions été contraints de signer dans le cadre de notre bataille pour être admis aux Nations unies 3

Shlaïm et Pappé retracent aussi l’ensemble des négociations bilatérales secrètes menées entre Israël et ses voisins arabes. Bref, conclut le second, «contrairement aux opinions de nombreux historiens et au mythe israélien concernant la guerre de 1948, il y avait bien des leaders arabes qui recherchaient la paix avec le nouvel État juif au milieu d’eux, et certains d’entre eux subirent des rebuffades de la part d’Israël4».

Mais le mythe le plus sérieusement ébranlé concerne l’exode des Palestiniens, qualifié de « fuite volontaire » par l’historiographie traditionnelle. Or, Benny Morris le montre, les archives réfutent la thèse de l’appel arabe à la fuite. «Il n’existe pas de preuve attestant, écrit-il, que les États arabes et le Haut Comité arabe [HCA, palestinien] souhaitaient un exode de masse ou qu’ils aient publié une directive générale ou des appels invitant les Palestiniens à fuir leurs foyers5.» Quant aux fameuses exhortations des radios arabes, on sait, depuis l’étude systématique de leurs programmes enregistrés par la BBC, qu’il s’agit d’une invention 6.

Dans les semaines suivant le plan de partage, 70 000 à 80 000 Palestiniens partirent volontairement – pour l’essentiel de riches propriétaires terriens et des membres de la bourgeoisie urbaine. Mais après ? Le premier bilan dressé par les services de renseignement de la Haganah, daté du 30 juin 1948, estime à 391 000 le nombre de Palestiniens ayant déjà quitté le territoire aux mains d’Israël. «Au moins 55 % du total de l’exode ont été causés par nos opérations», écrivent les experts, qui ajoutent les opérations des milices révisionnistes de l’Irgoun et du Lehi «qui ont directement causé environ 15 % de l’émigration». Au total, ils arrivent à 73 % de départs directement provoqués par les Israéliens. Dans 22 % de cas, le rapport met en cause les « peurs » répandues dans la population palestinienne. Quant aux appels arabes locaux à la fuite, ils n’entrent en ligne de compte que dans 5 % des cas…

À partir de la reprise des combats, en juillet 1948, la volonté d’expulsion ne fait plus de doute. Un symbole : l’opération de Lydda et de Ramla, le 12 juillet 1948. «Expulsez-les !» a dit David Ben Gourion à Igal Allon et Yitzhak Rabin 7. De fait, la violente répression (250 morts) est suivie de l’évacuation forcée de quelque 70 000 civils palestiniens – soit près de 10 % de l’exode total de 1947-1949 ! Des scénarios similaires seront mis en œuvre durant l’été, l’automne et l’hiver du nord (la Galilée) au sud (la plaine côtière et le Néguev).

Ces Palestiniens qu’on expulse, on fait en même temps main basse sur leurs biens. L’été 1948 voit se généraliser la politique de destruction des villages arabes, quand ils ne sont pas «restructurés» de façon à accueillir rapidement les nouveaux immigrants juifs. La loi sur les «propriétés abandonnées» – destinée à rendre possible la saisie des biens de toute personne «absente» – «légalise» la confiscation en décembre 1948. Israël mettra notamment la main sur 300 000 hectares de terres […]