Histoire de la misogynie

Par Adeline Gargam et Bertrand Lançon

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352 pages

 

 

En bref

Sorcières, harpies, furies, mégères, amazones, ensorceleuses, tentatrices délétères et empoisonneuses… Les femmes, dotées d’un utérus qualifié de « gouffre impur, venimeux et mortifère », mais aussi considérées comme des êtres inachevés et fragiles, ont subi pendant plus de deux millénaires la violence d’une misogynie enracinée au plus profond de nos sociétés, aujourd’hui encore scellée par le droit et perpétuée dans l’hostilité des a priori et des réflexes comportementaux.

Ce livre se veut l’archéologie d’un mépris, celui de la femme et de la féminité, tel qu’il s’exprime depuis la haute Antiquité. Un terrible constat s’impose sur la longévité et la ténacité des regards péjoratifs portés sur les femmes et la féminité. Ces regards sont ceux des hommes, parfois intériorisés par des femmes ; ils sont puissamment ancrés dans les mentalités par le langage, les images, les théories et les croyances, la littérature, la médecine et le droit.

Comment comprendre la misogynie ? Procède-t-elle uniquement d’habitudes profondément ancrées en nous ? Est-elle partie intégrante de la masculinité ? D’une virilité si longtemps façonnée par le modèle patriarcal ? Le déclin de ce dernier serait-il susceptible d’entraîner la fin d’une misogynie que l’on pensait indétrônable ?

Adeline Gargam est docteure en littérature française, auteure de nombreux articles et de plusieurs livres sur la place et la représentation des femmes des Lumières, elle a notamment publié Les Femmes Savantes, Lettrées et cultivées dans la littérature des Lumières ou la conquête d’une légitimité, chez Honoré Champion.

Bertrand Lançon est professeur émérite d’histoire romaine, ses recherches portent sur l’Antiquité tardive. Auteur d’une douzaine de livres et de nombreux articles sur les aspects politiques, religieux et sanitaires de cette période, il a récemment publié La Chute de l’Empire romain, une histoire sans fin chez Perrin et, chez Arkhê, Poil et Pouvoir, L’Autorité au fil du rasoir.

Presse

Cliothèque

Patiemment, les auteurs montrent que la misogynie est une construction. D’essence masculine, cette construction est l’œuvre des hommes en faveur de la domination masculine. Avec précision, ils distinguent la misogynie du « machisme », posture masculine de domination qui se traduit par un refus d’assumer des tâches et des affects prétendument dévolus aux femmes, du « sexisme » qui traduit une attitude discriminatoire et de la « phallocratie » qui désigne la pensée et les actions selon lesquelles le pouvoir revient aux hommes […]

Avis des lecteurs

La documentation est remarquable. La bibliographie se conforme aux règles en vigueur dans les disciplines universitaires, ce qui en fait un excellent outil de travail. Les opinions exprimées sont argumentées avec rigueur. C’est un bonheur de lire un texte où les nuances de la langue et la syntaxe sont parfaitement maîtrisées.

Sublime ouvrage, magnifiquement écrit et parfaitement référencé ! Un pur plaisir de lire du beau français, pour ce noble thème… Je recommande vivement !

Sommaire

 

Préambule

  • Le mépris féminin dans la longue durée

I. La féminité maléfique dans la mythologie

  • La prédation : Harpies et Furies
  • L’origine des maux : Pandore
  • Déesses inquiétantes
  • Les Amazones ou le fantasme d’un mundus perversus
  • Ensorceleuses ou naïves
  • La belle homicide : Médée
  • Héroïnes bibliques délétères
  • Femmes viriles
  • Avatars médiévaux : la mauvaise femme

II. La Faute à Ève

  • Un portrait à charge
  • Le dévoiement des récits de la Création
  • Hypothèses psychanalytiques sur le mythe d’Ève
  • La femme séduite et tentatrice
  • La femme et le démon
  • Théologie et anthropologie : les ambiguïtés de l’Ève intérieure
  • Le fruit défendu : la lubricité comme source ontologique du mal
  • Misogynie et mauvaise théologie
  • Avatars romains de la femme coupable
  • Tarpéia et Lucrèce
  • L’image d’Ève dans la littérature
  • De Lilith à Lulu : la femme fatale

III. Le mythe du sexe faible dans les discours scientifiques

  • Hippocrate, Aristote et Galien
  • La Révolution scientifiques des xiie et xiiie siècles
  • L’époque contemporaine : xixe et xxe siècles
  • Des théories porteuses d’une idéologie misogyne

IV. L’utérus ou le sexe vorage et migrateur, tyrannique et penseur

  • Un animal vagabond et salace
  • Une chronologie utérine tyrannique et dévastatrice
  • Un animal en rut permanent
  • Un gouffre impur, venimeux et mortifère
  • Un sexe carnivore

V. Une pléiade de moqueries multiséculaires

  • Des poètes antiques contre les femmes
  • La Bible et Aristote, caution du dénigrement des femmes
  • Les misogynes dans la querelle de la femme
  • Péchés et défectuosités du sexe faible

VI. Une animalité génétique

  • Il est prouvé qu’elles ne sont pas de l’espèce humaine
  • L’objet de la querelle, Le « concile de Mâcon »
  • Buts et enjeux de la querelle
  • Une légende tenace

VII. La misogynie scellée par le droit

  • Grecques et Romaines sous tutelle
  • Des formulations juridiques dévoyées
  • La loi salique au service d’une exclusion politique des femmes
  • La force biologique comme justification juridique
  • Le Code civil comme contrefort juridique d’un ordre sexiste
  • Droits ecclésiastiques et misogynie

VIII. Un long ostracisme culturel

  • Une politique éducative discriminatoire
  • Une exclusion des académies et des loges maçonniques
  • Une mise à l’écart de la pratique littéraire, scientifique et artistique
  • La misogynie intériorisée par les femmes
  • Le lexique et la syntaxe comme reflet d’un ordre androcentrique

IX. Mythologies et réalités misogynes au xixe et xxe siècles

  • Hystérie et présomption misogyne
  • L’incompatibilité supposée entre la femme et la machine
  • Le droit conquis d’être une athlète
  • La femme-objet submergée
  • Les violences faites aux femmes

Épilogue

  • L’archéologie d’un mépris

Extrait

 

I. La féminité maléfique dans la mythologie gréco-romaine et biblique

Dans la langue française, la lexicologie de la femme acariâtre et violente est florissante. De la mégère à la furie, en passant par la harpie, elle témoigne d’un évident tropisme de la femme dévorante et assassine. Ces divers vocables ont la caractéristique commune de provenir de la mythologie gréco-romaine, particulièrement riche en avatars féminins monstrueux. Les Érinyes harcèlent et rendent fou, les Gorgones pétrifient, les Harpies enlèvent les âmes, les Sirènes, de même que Charybde et Scylla, attirent et dévorent. Omettons les divinités pré-olympiennes, car elles appartiennent toutes à la théogonie grecque archaïque, et témoignent d’un chaos originel.
De fait, la terminologie actuelle, quelque peu dépassée aujourd’hui, depuis le récent affaissement de la culture gréco-latine, plonge ses racines au plus lointain des récits grecs du façonnement du monde. Comme si une forme de brutalité, de monstruosité était associée au féminin depuis la nuit des temps. Cependant, à regarder de près ces récits des origines, ces êtres féminins sont porteurs d’ambivalence. De plus, il apparaît que leur perception actuelle relève grandement d’une réduction médiévale de leurs caractéristiques. Là aussi, comme dans beaucoup de domaines, le Moyen Âge a filtré l’Antiquité.

La prédation : Harpies et Furies

Mégère est le nom d’une des trois Érinyes de la mythologie grecque. Nées des gouttes de sperme et de sang tombées sur Gaïa lorsque Cronos mutila Ouranos, ces divinités échappent à l’autorité des dieux et se gouvernent elles-mêmes. Génies féminins ailés, à la chevelure mêlée de serpents, brandissant torches et fouets, ces « chiennes », comme les textes les appellent, harcèlent leurs proies, qu’elles acculent à la démence. On les voit même, dans l’Énéide de Virgile, tourmenter sans fin les âmes des défunts. Les Romains les appelaient Furies. Mégère était donc une Furie, tout comme ses sœurs Alecto et Tisiphoné.
Comme les Furies, les Harpies sont à la fois des êtres féminins partiellement zoomorphes. Les Harpies, comme les Sirènes, sont mi-femmes mi-oiseaux, avec des serres qui leur permettent de ravir les âmes et les enfants. Cette hybridité se trouve chez Échidna, femme et serpent, et chez sa fille Chimère, qui possède un corps de chèvre, une tête de lion et une queue de serpent. Chimère, quant à elle, dévore les hommes et le bétail. On la trouve également, avec du minéral, chez les Gorgones, qui ont des ailes d’or, une tête hérissée de serpents, des défenses de sanglier, un cou recouvert d’écailles, et des mains de bronze. Scylla, elle, possède le haut du corps d’une jeune fille, mais de ses aines jaillissent six chiens féroces aux crocs aigus. Cela en fait la figure archétypale du « vagin dentelé » de la psychanalyse. Les Sirènes ne furent dotées d’une queue de poisson qu’à partir du vie siècle de notre ère. Dans la mythologie gréco-romaine, elles étaient des oiseaux comme les Harpies, mais dotées d’un buste de femme. Enfin, la Sphynge de Thèbes avait aussi un visage et un torse féminins, mais un corps de lion et des ailes d’aigle. Les éléments dominants de cette hybridité féminine sont, on le voit, le rapace et le serpent. Les serres et les dents sont des outils de prédation qui se conjuguent à une apparence féminine à l’innocence séductrice.
Les Sirènes envoûtent par leur chant, la Sphynge pose une énigme, les Furies et les Harpies harcèlent. Dans ce registre, quelle est la place de la féminité ? Dans l’aspect humain de la jeune fille, sans aucun doute. Mais celui-ci est obéré par la face animale, envoûtante, prédatrice et dévorante. Le cas de Charybde, de Scylla et des Furies permet d’avancer dans l’interprétation de cette ambivalence. Les récits mythologiques nous apprennent en effet que Charybde était à l’origine une jeune déesse. Mais sa gloutonnerie provoqua la colère de Zeus qui la punit en la transformant en monstre prédateur sur un rocher du détroit de Messine. Quant à sa voisine Scylla, elle était une jeune fille, mais fut transformée en monstre par la magicienne Circé, qui en était jalouse. Autrement dit, l’aspect monstrueux relève ici de la punition subie, la féminité étant en quelque sorte emprisonnée dans un aspect et une fonction contraires à son état primitif. De ce point de vue, le cas des Érinyes/Furies est particulièrement intéressant. Si elles sont vengeresses, ce n’est pas par méchanceté, mais parce qu’elles vengent la justice bafouée. Leurs proies sont en effet des humains qui ont transgressé l’ordre cosmique dont elles sont les garantes : ceux qui ont troublé la famille par l’adultère, ceux qui ont commis des meurtres, ceux qui sont coupables d’une hybris (démesure) irrévérencieuse envers les dieux. Leur harcèlement n’est donc pas un désordre mais un châtiment contre le désordre. Par ailleurs, si leurs proies parviennent à trouver quelqu’un qui les purifie de leur crime, les Érinyes changent alors de nom et de statut. Apaisées par cette purification, elles deviennent les Euménides, c’est-à-dire les Bienveillantes. Par ailleurs, la monstruosité apparaît comme vulnérable et mortelle : Chimère est tuée par Bellérophon, Méduse la Gorgone par Persée. Quant à la Sphynge, elle se précipite du haut des rochers lorsqu’Œdipe résout l’énigme, et les Sirènes se noient volontairement lorsque l’équipage d’Ulysse échappe à leur chant.

On le voit, la misogynie qui s’attache aux vocables de la violence féminine ne retient de la mythologie que la caricature de la prédation animale. Elle ne retient ni le sort jeté, ni la transformation subie, ni la possible fin de la créature dévorante. Elle s’est appuyée sur les caractéristiques les plus effrayantes de ces créatures mythologiques afin de souligner dans la féminité un caractère terrifiant. Cela révèle, en creux, l’ampleur des craintes et terreurs masculines envers la féminité et la femme. Craintes et terreurs éminemment cultivées dans un Occident médiéval culturellement dominé par un clergé méfiant à l’égard du féminin…
Plus près de nous, on peut admirer au musée du Louvre une peinture de Clément Belle, datée de 1794, représentant une Allégorie de la Révolution. On y voit la déesse Minerve, assise et casquée, remettre à Hercule un décret qui abolit les vices de l’Ancien Régime. Celui-ci est occupé à brandir sa massue pour terrasser un monstre qui représente les erreurs passées : ce monstre n’est autre qu’une femme ailée, telle une sphynge, dont la poitrine indique la féminité. Si l’adage dit que l’erreur est humaine, l’iconographie moderne insiste ici clairement à la proclamer féminine, pérennisant ainsi une misogynie prenant racine dans les antiques mythologies.

L’origine des maux : Pandore

Dans la mythologie grecque, Pandore (Pandôra) est le nom de la première femme. Créée sur la volonté de Zeus, qui voulait par elle se venger du vol du feu par Prométhée, elle fut modelée dans l’argile par Héphaïstos. Athéna lui apprit à tisser et l’habilla, et elle reçut différents dons de la part des dieux. Parmi ceux-ci, outre des qualités et la connaissance des arts, se trouvaient le mensonge et l’art de persuader – cadeau d’Hermès –, ainsi que la curiosité et la jalousie, offertes par Héra ; tant il est vrai que les dieux grecs possèdent les défauts des humains. Pour les Grecs, la première femme était donc un cadeau empoisonné, destiné à punir les hommes. De fait, l’agente perturbatrice fut offerte par Zeus à Épiméthée, le frère de Prométhée, qui l’accepta. On connaît l’histoire qui s’ensuivit, qui est le cœur du mythe de Pandore. Il y avait dans ses bagages une jarre contenant tous les maux, qu’elle avait ordre de ne pas ouvrir. La curiosité insufflée par Héra fut cependant la plus forte et Pandore ouvrit la jarre. Aussitôt les maux s’en échappèrent : la vieillesse, la maladie, la guerre, la misère, la famine, la folie, la tromperie et le vice se répandirent dans le monde. Ainsi donc, bien qu’Hésiode l’évoque à peine dans sa Théogonie, la première femme fut jugée, dans la mythologie grecque fondatrice, comme la responsable de tous les maux. En cela, elle rejoint partiellement la figure biblique d’Ève, dont les responsabilités explicites sont cependant moins lourdes. De ce fait, Pandore se trouve à l’origine de la misogynie, puisque le mythe fait de la première femme le bouc émissaire de la misère du monde. Réalisant les conséquences funestes de sa curiosité, Pandore s’empresse de refermer la jarre, dans laquelle reste la seule Elpis, plus lente à réagir. Elpis est souvent traduite par « espérance », ce qui est une vision plutôt chrétienne des choses. Le terme grec désigne surtout l’attente et, par définition, les tourments de l’attente, dont celle de la mort. En conséquence, le fait qu’Elpis demeure seule enfermée dans la jarre n’est pas à considérer, contrairement à ce que l’on croit souvent, comme un surcroît de malheur. Hésiode écrit que Pandore est un « beau mal » (kalôn kakôn). Ce n’est pas seulement du fait de sa beauté. L’appréciation est plutôt morale. Elle signifie que les maux et malheurs ainsi diffusés représentent une adversité qui, elle seule, permet à l’homme de se dépasser et de s’améliorer, sans avoir trop à souffrir de l’attente de la mort. Pandore est donc une figure ambivalente. Elle est certes la cause des malheurs et des souffrances des humains, mais sa faute les entraîne vers l’éclosion de qualités qu’une exemption de telles souffrances n’aurait pu provoquer.
Cependant, la « boîte de Pandore » – c’est ainsi qu’on la nomme aujourd’hui – reste l’origine des maux, et en désigne comme cause la curiosité de Pandore. Autrement dit, à la première femme correspondent les premiers malheurs. Cela pose un grief antiféminin à l’aube de l’humanité, la femme étant pour Zeus un instrument de vengeance. La mythologie reflète donc la misogynie des aèdes de l’époque archaïque qui l’ont façonnée.