jeunes, vieux, vieillesse, jeunesse

As-t-on besoin de rester jeune quand on est vieux ?

C’est le refrain du moment : les évolutions sociétales peineraient à avancer à cause des vieux mâles qui, par réaction, bloqueraient toute évolution. Pourtant, les sexagénaires ont un profil sociologique étonnamment dans l’air du temps et qui, surtout, semble se moduler au gré des avancées sociétales.

À force d’avoir fait de la jeunesse son absolu civilisationnel, l’Occident aurait-il perdu de vue ses aînés ? Plus nombreux, plus altruistes et même plus portés sur les choses du sexe que les 15-30 ans, ceux-ci pourraient pourtant bien donner un sacré coup de vieux à nos chers millennials... Réponses avec l’auteur de Millennial Burn-out.

 

Grands absents des discours politique ou marketing – car jugés fossilisés ou en voie de péremption sociale –  les vieux ne font pas rêver. On leur préfère en effet le jeune, ou du moins son archétype, devenu depuis la fin des années 1960 notre référent civilisationnel.

Aventureux, progressiste, conscientisé, bref nourri au bon grain du mythe du progrès, le jeune fait rêver autant qu’il semble échapper aux discours du réel pour devenir une pure image fantasmatique.

Rester jeune : la question du jeunisme

Mais ce jeunisme où trône la figure censément universellement désirable de l’enfant éternel à trottinette, au-delà de son imaginaire mensonger (dont pâtissent en premier lieu les jeunes eux-mêmes), a également pour effet de nous faire oublier un fait important. À savoir : l’implacable vieillissement de l’Occident. Qu’on se le dise d’office : ce dépérissement cellulaire de masse n’est pas forcément le drame anthropologique que certains voudraient y percevoir. Voici la preuve par six, que les vieux, c’est l’avenir.

Les vieux sont nombreux

Le bilan démographique provisoire de 2018 de l’Insee est sans appel : la baisse de la natalité ne faiblit pas en France. Précisément, l’organisme note que l’année dernière a de nouveau été marquée par une réduction de 10 000 naissances. Soit une situation de croissance démographique proche de zéro pour un taux de fécondité de 1,86 enfant par femme. Le seuil de remplacement des générations se situant à 2,06 enfants, l’Insee estime donc qu’à l’horizon 2050, un tiers du pays aura plus de 60 ans. Moralité, si l’avenir en Occident ne s’annonce pas forcément sombre, il sera manifestement très gris. 

Les vieux sont riches 

Les services marketing ont beau tout faire pour cibler les 15-30 ans au détriment des seniors, cette obsession commence aujourd’hui à prendre un sérieux coup de vieux. Notamment car ces cibles juvéniles, de moins en moins nombreuses, sont également victimes de la baisse de leur niveau de vie. S’il évolue entre 20 000 et 22 000 euros pour les 18-39 ans, le revenu moyen dépasse les 26 000 euros pour les 50-74 ans. Une tranche d’âge qui devrait d’ailleurs connaître un boom de 15 % de son pouvoir d’achat ces dix prochaines années mais à qui personne ne s’adresse réellement, si ce n’est dans le but assez peu réjouissant d’écouler des stocks de prothèses auditives ou des nouveaux modèles de monte-escaliers à freinage électronique. 

 

 

Sociologie de la vieillesse : les vieux restent plus jeunes que vous ne le croyez

Les vieux sont altruistes

Contrairement aux refrains entendus sur la génération dorée (les baby- boomers) qui aurait spolié les suivantes, la richesse des premiers circule intensément dans un sens descendant. La solidarité financière privée représente 10 % de la richesse nationale. Dans le détail, 80 % des jeunes de 18 à 24 ans reçoivent une aide financière régulière de leurs parents. Soit 400 € mensuels en moyenne pour les enfants de cadres et 160 € pour les enfants d’ouvriers. Des aides financières considérées comme essentielles pour 60 % des sondés. Sans doute pas un hasard donc si vieux rime avec généreux.

Les vieux sont olé-olé

Alors qu’on les disait perfusés à la pornographie, enchaînant les conquêtes sexuelles d’un soir, comme pour fixer l’image d’un nouvel individu zappeur/consommateur, la génération dite des millennials semble vivre au contraire une véritable débandade d’époque. D’après une étude de synthèse publiée dans la revue scientifique Archives of Sexual Behavior, les 20-24 ans serait la cohorte la plus sexuellement inactive depuis les années 1920. 15 % révélaient même ne pas avoir eu de partenaire sexuel depuis l’âge de 18 ans, contre seulement 6 % des personnes nées dans les années 1960 et 1970.

Pour le plus jeunes, plus qu’une sexualité épanouie, les priorités existentielles seraient l’amitié (58 %) puis l’amour (40 %).

A contrario, ceux qu’on appelle désormais (et de manière un peu ridicule) les « sexygénaires » et autres « quincados » manifestent un rapport à la sexualité bien plus débridé. Ainsi, nous dit l’Ifop, les 18-24 ans seraient moins nombreux à pratiquer le sexe oral (76 %) que les 50-64 ans (91 %). Un constat que certains trouveront peut-être un peu dur à avaler. 

Les vieux sont progressistes

C’est le refrain du moment : les évolutions sociétales peineraient à avancer à cause des vieux mâles qui, par réaction, bloqueraient toute évolution. Pourtant, les sexagénaires ont un profil sociologique étonnamment dans l’air du temps et qui, surtout, semble se moduler au gré des avancées sociétales. Exemple : en 1980, 41 % des sexagénaires voyaient le mariage comme « une union indissoluble ». Ils ne sont plus que 17 % aujourd’hui. En 2013, près d’un sexagénaire sur deux (48 %) était favorable au mariage homosexuel, soit un bond de 38 % depuis 2009. Le pourcentage de sexagénaires bienveillants envers l’homoparentalité a lui aussi grimpé de 8 points depuis 2009, pour atteindre 37 %. Comme le résume Régis Bigot, auteur d’une large étude sociologie sur ces néo-vieux, « ce sont tout simplement les seniors qui ont parcouru le chemin le plus rapidement en matière d’évolution des mœurs ».  

Les vieux sont démocrates

Montée du populisme et des extrêmes, désir de radicalité… L’ambiance actuelle n’est que très modérément sereine. Un climat de tension auquel vient se greffer un mouvement de déconsolidation démocratique portée en grande partie par les plus jeunes classes d’âges. Le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF confirme ainsi que les plus jeunes sont bien moins nombreux à répondre positivement à l’assertion « la démocratie est une bonne chose ». Précisément, 73 %, comparé à une moyenne de 84 %.

À la phrase « la démocratie peut poser des problèmes mais c’est tout même mieux que n’importe quelle autre forme de gouvernement »,  ils ne sont plus que 64 % (contre 91 % des 65 ans et plus). D’après les données du Pew Research Center, 46 % des 18-29 ans (pour 36 % des 50 ans et plus), ce serait une bonne chose qu’un gouvernement d’experts puisse décider des lois sans s’embarrasser du Sénat ou du Parlement. En 1995, 6 % des jeunes Américains estimaient que l’idée d’une armée au pouvoir était une bonne chose. Ils sont 35 % aujourd’hui. Bref, pour assurer l’avenir, il semble paradoxalement plus sage de donner notre voix aux vieux. 

Vincent Cocquebert

 

Pour aller plus loin : Millennial Burn-out