histoire de l'antispécisme et de l'animisme

Antispécisme : vers une révolution végan ou un nouveau mainstream ?

Le « veggie burger » de McDonald montre comment la société capitaliste a converti la menace animaliste en moteur pour le marché.

L’animalisme est un mouvement éthique, voire moral, qui dépasse aujourd’hui le cadre de la protection animale. L’Animaliste considère les animaux comme des êtres sensibles, des individus, des personnes à part entière qui devraient pouvoir vivre libres et émancipés de la domination des hommes. Alors, l’animalisme est-il nécessairement « radical » ? Marianne Celka, auteur de Vegan Order chez Arkhê, nous parle de l’idéologie animaliste et de ses ramifications éthiques et pratiques.

Animalistes, antispécistes et végans :  vers la radicalité ou le mainstream  ?

Le terme renvoyant au mot « racine » (radicalis), on peut dire que l’animalisme est « radical » dans la mesure où il ambitionne de reconfigurer les fondements même de la société. En rejetant la légitimité non seulement de l’exploitation mais aussi de la domestication animale, ce sont bien les racines de la société qu’il tente de mettre en branle.

Cette radicalité, on la retrouve dans les actions directes, parfois extrêmement violentes, menées par les cellules de libération animale  au cours des années 1960-1980.

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Toutefois, véganisme et antispécisme sont aujourd’hui passés dans le langage commun, leurs problématiques ont été intégrées par de nombreux milieux sociaux. Ils commencent donc à perdre leur caractère radical : lorsque l’on parle du « style veggie » ou de la « tendance végane », c’est le signe qu’ils ont quitté les marges du social pour s’installer au cœur de nos pratiques quotidiennes.

Malgré ce que l’on pourrait appeler un « spectacle » de la radicalité – les images des campagnes de PETA ou de la Sea Shepherd, les vidéos de L214, les happenings de L269 ou de Vegan Impact –, nous assistons aujourd’hui à une phase nouvelle du phénomène dans laquelle les valeurs animalistes sont pour ainsi dire neutralisées par leur mise sur le marché médiatique  (comme on peut le voir sur Instagram) ou dans l’agroalimentaire, avec de grands groupes qui s’emparent des arguments antispécistes pour communiquer sur leurs produits.

L’animalisme ou l’antispécisme commencent à perdre leur caractère radical : lorsque l’on parle du « style veggie » ou de la « tendance végane », c’est le signe qu’ils ont quitté les marges du social pour s’installer au cœur de nos pratiques quotidiennes.

Antispécisme : quel avenir pour les animaux dans un monde végan ?

Par définition le véganisme implique de ne plus faire usage des animaux, que ce soit pour se nourrir, se vêtir, se soigner, se divertir, etc... Une question fondamentale se pose donc d’emblée : quel futur pour les animaux déjà domestiqués ? Il n’est pas raisonnable de penser que les éleveurs continuent de choyer des animaux pour le simple plaisir de les contempler. Tous les animaux domestiques – des chiens aux poules, des lapins aux vaches si ce n’est les escargots – ont été « fabriqués » par l’homme et n’ont pas ou peu de chances de survie en dehors des sociétés humaines. Logiquement, si nous devions en finir avec la domestication, ces animaux disparaîtraient assez vite de la planète.

Il n’est pas raisonnable de penser que les éleveurs continueraient de choyer des animaux pour le simple plaisir de les contempler.

En réalité, l’animalisme est complexe et pluriel. Dans sa perspective abolitionniste, il considère que les animaux sont « pris au piège » de notre monde humain. Il s’agit donc de les libérer mais aussi de ne plus en voir naître aucun. Dans une perspective réformiste, il s’agirait d’améliorer les conditions de détention des animaux tout en interdisant certaines pratiques comme la corrida ou l’élevage en batterie.

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Toutefois, aujourd’hui, la popularité du véganisme l’insère directement dans le marché en tant que « régime sans » aux côtés d’autres régimes alternatifs. Au lieu de voir les sociétés renoncer pour de bon aux multiples usages qu’elles font de ces animaux, le système capitaliste perpétue leur exploitation industrielle tout en proposant à ceux qui ne souhaitent plus y prendre part, un ensemble de produits « certifiés sans cruauté ». Ceci dit, il semblerait que l’élevage « concentrationnaire », du point de vue de la sensibilité collective, ne fasse plus aujourd’hui l’unanimité. L’idée de progrès liée à la productivité toujours croissante de l’industrie animale décline au profit d’un élevage plus raisonnable, respectueux à la fois des animaux et de l’environnement. Même si cela reste de l’élevage… mais concrètement, peu de personnes s’opposent aujourd’hui à cette transformation progressive de nos mentalités et de nos modes de consommation.

Antispécisme, animalisme ou véganisme, comment s’effectue ce double mouvement : radicalisation, puis passage au mainstream et à une nouvelle forme de pensée dominante (voire culpabilisante) ?

Ce glissement ou ce retournement des valeurs radicales vers le mainstream est un événement pourrait-on dire « classique » dans le développement des contre-cultures, même des plus violentes. C’est dans les marges du social d’aujourd’hui que l’on voit apparaître les futurs normes de demain. Les poussées subversives qui agitent régulièrement le corps social peuvent, dans certains cas, séduire le plus grand nombre et par là même s’atténuer jusqu’à se vider de leur essence révolutionnaire. C’est ainsi que les sans-culottes de 1789 ont permis l’avènement de l’ordre bourgeois, que les hippies sont devenus des yuppies et que la figure du Che s’affiche sur les t-shirts de jeunes capitalistes sirotant du Coca Cola.

C’est ainsi que les sans-culottes de 1789 ont permis l’avènement de l’ordre bourgeois, que les hippies sont devenus des yuppies et que la figure du Che s’affiche sur les t-shirts de jeunes capitalistes sirotant du Coca Cola.

De même, le « veggie burger » de McDonald montre comment la société capitaliste a converti la menace animaliste en véritable moteur pour le marché.

La teneur culpabilisante de l’animalisme provient notamment de ses racines protestantes et puritaines. Son imaginaire – c’est-à-dire les représentations collectives, les récits et les images qui le composent – est très attaché à la notion de faute originelle et au mythe adamique de la Chute : celle-ci nous aurait privé du Jardin d’Éden dans lequel il n’y avait ni violence, ni entre-dévoration des espèces. On peut comprendre ainsi que le style veggie demeure encore auréolé de cette relation forte à la culpabilité mais aussi de l’espoir qu’advienne un monde meilleur, « lavé » des « souillures » de la violence des hommes…

Propos recueillis par Arkhê

 

Pour aller plus loin : Vegan Order