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Excès et régimes : L’art de la détox selon les Romains

Si ton ventre est dur et paresseux, les moules et autres coquillages vulgaires chasseront l’obstacle ; joins-y la petite oseille, mais sans oublier le vin blanc de Cos.

 

Après la période d’ivresse chocolatée qui accompagne immanquablement toutes fêtes de Pâques, quoi de mieux qu’une légère cure de détox pour retrouver la paix « digestive » ? Eux-mêmes friands de banquets, les Romains nous ont légué de nombreux conseils pour nous remettre de nos excès. L’historien Dimitri Tilloi, auteur de L’Empire Romain par le menu, a recensé leurs régimes anti-toxines ou recettes détox les plus étonnants. À ne surtout pas reproduire chez soi. 

Vous n’avez pas su résister aux attraits des lapins chocolatés et autres poulettes enrubannées et votre estomac vous en fait désormais le reproche ? Saviez-vous que les Romains, pour certains de grands mangeurs et jouisseurs devant l’éternel, rivalisaient d’imagination pour contrer les effets malheureux de leurs – parfois trop nombreux – excès culinaires ? Les nombreuses recettes détox qu’ils nous ont laissées n’ont rien à envier – par leur côté expérimental – aux régimes paléo, anti-toxines ou aux jus d’herbe et autres liquides à base de foin que toute foodista adepte d’un mode de vie « healthy » se doit d’ingurgiter durant les périodes à haut risque que constituent, pour elle, les fêtes de Pâques du Nouvel An ou de Noël.

Petite philosophie de la détox à Rome

Les recettes d’Apicius montrent ainsi que le banquet des Romains offre de nombreuses tentations pour les gourmets. Les mets savoureux ou les grands crus réputés qui y sont servis peuvent aisément conduire aux excès lorsque la gourmandise prend le dessus sur la volonté et la raison. Les gourmands, parfois les gloutons, sont raillés par les sources lorsqu’ils cèdent à de telles séductions et pour ne pas avoir su contrôler leur corps et leurs envies.

La condamnation est morale, car l’homme romain doit faire preuve de mesure, mais elle aussi médicale. Les médecins antiques expliquent qu’une nourriture excessive ou inadaptée peut être à l’origine de maladies, surtout si elle est mal digérée, en vertu de la théorie des humeurs héritée de la médecine hippocratique. Certaines sources morales, satiriques, ou bien encore les biographies impériales, tendent à exagérer l’ampleur de ces débordements. Néanmoins, les textes médicaux laissent entendre qu’occasionnellement les excès étaient possibles. En effet, ils offrent des conseils et des remèdes contre les conséquences d’une consommation abusive de nourriture et de vin.

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Pour la médecine, tout excès est forcément nocif pour le corps et entraîne son dérèglement. C’est le cas par exemple pour Cicéron qui, lors d’un banquet, regrette amèrement d’avoir consommé trop de légumes apprêtés de façon appétissante, ou bien de Galien qui, durant, sa jeunesse s’est laissé aller à une consommation excessive de fruits frais (Galien, VI, Des bons et des mauvais sucs, 1, 755, 7- 757, 13 ; Cicéron, Lettres aux familiers, VII, 26.). Dans les deux cas, la maladie est la conséquence, presque le châtiment, pour le manquement aux règles du régime.

Plus largement, un corps déformé par les excès de nourriture et la gourmandise ne correspond pas aux normes de la société romaine, tel l’empereur Vitellius. Plutarque, moraliste aux connaissances médicales étendues, explique que le corps est comme un bateau malmené par une tempête et duquel il est nécessaire de rejeter l’eau qui s’infiltre et menace son équilibre. La santé est une barque qui doit être menée avec droiture pour éviter les risques liés aux tentations de la table (Plutarque, Préceptes de Santé, 10).

Régime détox :  moules, oseille, vin blanc, pruneaux & escargot

Au cours du banquet, il est donc nécessaire d’anticiper les effets des aliments et de favoriser une bonne digestion : elle est la clé du maintien de l’équilibre des humeurs dans le corps. Varron explique ainsi dans les Satires Ménippées que les desserts doivent être choisis et consommés avec prudence pour ne pas nuire au corps. Juvénal précise en outre que les gâteaux au moût peuvent aider les convives à digérer (Juvénal, Satires, VI). Le choix des aliments tout au long du repas et les mélanges sont décisifs pour favoriser le transit ainsi que le conseille Horace : « Si ton ventre est dur et paresseux, les moules et autres coquillages vulgaires chasseront l’obstacle ; joins-y la petite oseille, mais sans oublier le vin blanc de Cos. » (Horace, Satires, II, 4)

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Les médecins antiques accordent une importance toute particulière aux aliments laxatifs, comme les mauves ou les prunes de Damas, ce qui traduit le souci de faciliter l’évacuation du ventre et donc éviter tout dérèglement du corps par ce biais, un raisonnement qui ressemble fort à la philosophie imprégnant la culture de la détox contemporaine. Les pruneaux sont déjà considérés comme fort utiles pour purger le corps puisque Gargilius Martialis en donne une recette médicinale où ceux-ci sont cuits dans du vin :

« Qui peut, en effet, ne pas savoir que des pruneaux, cuits dans du vin de raisins séchés ou avec du vin mêlé de miel, sont efficaces pour relâcher le ventre et sont particulièrement bénéfiques, lorsque ce fruit, auquel le jus à été mélangé, est absorbé une fois cuit ? » (Gargilius Martialis, Remèdes tirés des légumes et des fruits, 46, 1)

Si, malheureusement, le mangeur ne s’est pas montré assez vigilant, il est possible malgré tout de corriger les excès qui ont été commis. Pour veiller à cela, Plutarque suggère une forme d’examen de conscience dans les Préceptes de santé afin de contrôler les plats consommés et d’appréhender leurs effets sur le corps. Si les séductions du banquet ont été trop fortes, il recommande, pour compenser les excès, de boire de l’eau pure et de manger peu, si une nourriture lourde comme la viande a été servie. (Plutarque, Préceptes de santé, 15).

Parmi les aliments jugés bons pour corriger les excès des repas, les auteurs anciens conseillent en particulier les escargots. En effet, un des personnages du Satiricon qui a participé à l’incroyable banquet de Trimalcion ressent une forme de culpabilité et admet manger des escargots sans sauce avec un peu de vin (Pétrone, Satiricon, CXXX). De même, Pline indique que les escargots sont les meilleures nourritures pour l’estomac et peuvent dissiper les ballonnements. Il explique la meilleure façon de les préparer : « Mais ce qui est surtout bon pour l’estomac, c’est de manger des escargots. Il faut les faire bouillir un peu dans l’eau, leur corps étant intact, puis les faire griller dans la braise sans rien ajouter et les consommer ainsi avec du vin et du garum, principalement les escargots d’Afrique. On a constaté récemment que ce remède était bon pour un grand nombre de gens. » (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXX, 44)

Mais ce qui est surtout bon pour l’estomac, c’est de manger des escargots. Il faut les faire bouillir un peu dans l’eau, leur corps étant intact, puis les faire griller dans la braise sans rien ajouter et les consommer ainsi avec du vin et du garum…

Des régimes, de la mauvaise haleine, de l’anis… et des massages !

Néanmoins, il met en garde le lecteur contre la mauvaise haleine qu’ils entraînent. L’haleine causée par certains aliments est fréquemment mentionnée dans les sources, elle peut résulter d’une mauvaise digestion ou d’une consommation excessive de certains aliments comme l’ail ou l’oignon. Martial témoigne de l’existence de pastilles consommées par une femme nommée Fescennia. Celles-ci sont fabriquées par un certain Cosmus pour masquer l’odeur du vin (Martial, Épigrammes, I, 87). De même, au cours du banquet, la consommation d’anis est conseillée par Pline l’Ancien pour éviter la mauvaise haleine (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XX, 186).

Aux côtés de ces régimes très spécifiques, certaines activités physiques, comme des massages et des frictions, et les bains peuvent être préconisés pour remédier aux conséquences d’un festin trop abondant. C’est ce que fait le personnage du Satiricon qui regrette de s’être trop adonné aux plaisirs de la table (Pétrone, Satiricon, CXXXX). À la fin de l’Empire dans la Gaule du Ve siècle, Sidoine Apollinaire, qui fut évêque de Clermont, relate un épisode savoureux où, après un banquet copieux, lui et ses amis se livrent à une marche digestive. Les effets du vin persistent et pour corriger cela, Sidoine Apollinaire raconte avoir creusé une fosse où furent jetés des cailloux préalablement chauffés, tandis qu’un dôme construit avec des branches et sur lequel furent placées des couvertures permettait de conserver la chaleur. Cette étuve improvisée montre l’ingéniosité déployée pour pouvoir faire bonne chère tout en tenant écartés les effets néfastes du banquet. La chaleur de l’eau est supposée favoriser la digestion, tandis que l’eau froide permet ensuite de raffermir le corps (Sidoine Apollinaire, Lettres, 38).

Lutter contre la gueule de bois dans l’Antiquité

De même, pour vaincre les effets de l’alcool il existait de véritables recettes pour lutter contre la « gueule de bois », comme l’atteste un papyrus retrouvé en Égypte à Oxyrhynque en 2015. Ce papyrus (Papyrus d’Oxyrhynque, 5245) se trouve à la croisée de la médecine et de la magie, il conseille notamment de porter un collier de feuilles d’une variété de laurier pour contrer les effets secondaires de la boisson. Une telle recommandation fait écho au port de couronnes de fleurs sur la tête au cours du banquet dans le but de limiter l’action de la boisson.

De même, certaines nourritures préviennent aussi les effets du vin… comme le poireau selon Gargilius Martialis, (Gargilius Martialis, Remèdes tirés des légumes et des fruits, XXI). Les amandes sont également conseillées, Plutarque rapporte que Drusus, fils de Tibère, avait pour habitude d’en consommer pour résister aux effets de la boisson (Plutarque, Propos de table, I, 6, 4). De même, Scribonius Largus précise que la plante nommée nervalis en latin permet de dissiper les vapeurs de vin et de reprendre ses esprits en cas d’ivresse (Scribonius Largus, Compositions médicales, XII).

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Parmi les stratégies conseillées par la médecine antique, l’évacuation et la purge du corps peuvent aussi corriger les effets des excès du banquet. Aux côtés des purgatifs, le vomissement est fréquemment prescrit par les médecins pour remédier à une situation où le corps est trop chargé de nourriture. Il peut être favorisé par des préparations pharmacologiques (Cassius Felix, De la médecine, I, 17) ou par la consommation de certaines plantes comme l’hellébore (Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVII, 15).

Le jeûne des anciens

Le jeûne tient également une place centrale parmi les méthodes proposées pour purger le corps. Il peut s’agir de l’abstinence d’un aliment en particulier ou bien de privation de toute nourriture et boisson. Pline l’Ancien considère le jeûne comme une des meilleures méthodes pour corriger les dysfonctionnements du corps (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXVIII, 53). Le jeûne peut d’ailleurs tout à fait être intégré dans les traitements prévus par les médecins pour les patients en convalescence. Toutefois, la pratique du jeûne fait l’objet de désaccords et de débats entre les médecins au sujet de sa pertinence, tel Galien qui juge inutile la pratique d’un jeûne de trois jours préconisé par certains de ses confrères (Galien, Méthode de traitement, 581-582). Il explique d’ailleurs que l’expérience est essentielle pour connaître son corps et remédier par soi-même aux excès commis, ce qui peut être meilleur que les conseils donnés par certains spécialistes (Galien, Méthode de traitement, 668).

L’expérience est essentielle pour connaître son corps et remédier par soi-même aux excès commis, ce qui peut être meilleur que les conseils donnés par certains spécialistes.

Toutes ces méthodes montrent donc comment les individus s’approprient les enseignements de la médecine et les mettent en pratique au quotidien dans le monde romain. Il s’agit d’une part de préserver son corps et sa santé, mais aussi de pouvoir continuer à jouir des plaisirs du banquet. Celui-ci représente un moment de sociabilité essentiel dans la civilisation romaine. Les nombreuses réflexions menées à l’époque contemporaine au sujet des régimes minceurs ou « détox » ou sur l’utilité du jeûne – qui atteignent un pic à Noël ou à Pâques – trouvent ainsi un écho dans l’Antiquité romaine et traduisent la permanence des préoccupations liées à l’hygiène de vie.

 

Pour aller plus loin : L’Empire romain par le menu