Penser par figures

Par Jean-Claude Schmitt

Broché (19,50 €)

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Ebook (12,99)

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188 pages

En bref

Pas de journal télévisé, d’article de presse ou de présentation d’entreprise sans une série de courbes, de diagrammes, de graphiques ou d’histogrammes, au point de parfois créer une forme de dépendance intellectuelle aux schémas en tous genres. Et pour cause  : ces figures permettent de rendre une idée complexe immédiatement mémorisable par le cerveau humain, épargnant ainsi une longue démonstration. Mais saviez-vous que ce mode de pensée et d’expression, qui tient à la fois de l’image et de l’écriture, existait bien avant Microsoft et ses schémas auto-générés ? Confrontés aux mêmes difficultés que nous, érudits, hommes d’église ou simples artisans ont caché des trésors d’inventivité dans les manuscrits médiévaux où les roues, les arbres, les échelles et autres figures insolites invitent le lecteur à s’introduire, par l’œil et l’esprit, dans le labyrinthe de l’âme et du monde.

Historien spécialiste de l’anthropologie historique, Jean-Claude Schmitt est directeur d’études à l’EHESS. Médaille d’argent du CNRS, il a enseigné dans les plus grandes universités américaines et européennes. Il a récemment publié Les Rythmes au Moyen Âge chez Gallimard, 2016. Ses ouvrages sont traduits dans plus d’une quinzaine de langues. Il dirige la collection Oblique/s chez Arkhê.

Presse

La Cliothèque

Présentation powerpoint, documents d’entreprises : les figures et les schémas sont partout dans nos vies quotidiennes mais vous êtes-vous déjà demandé d’où venait cette façon de présenter l’information ? Jean-Claude Schmitt en tout cas, lui, s’est interrogé et en historien et spécialiste d’anthropologie historique qu’il est, il propose ce court ouvrage. Ce livre s’inscrit très logiquement dans la collection Oblique/s des éditions Arkhé puisque cette collection se donne pour but d’interroger les faits sociaux dans l’histoire en croisant les méthodes et en dépassant les frontières des disciplines.

Sommaire

I. Les images classificatrices 

II. Le compas divin

III. Qu’est-ce qu’une figure ?

IV. S’approprier une figure

Extrait

Avant-propos

L’expérience est commune, nous la partageons tous : cherchant à clarifier un raisonnement, à simplifier un exposé, à tirer la substance d’une lecture, nous griffonnons au crayon quelque figure géométrique, traçons des cercles et des carrés, les réunissons par des lignes et des flèches, ou adaptons plus savamment à notre projet les schémas préétablis que nous fournit l’ordinateur. Ces dessins grossiers ou élaborés, sans cesse modifiés, raturés, souvent oubliés une fois qu’ils ont rempli leur office, prolongent l’exercice de la pensée, l’aident à se structurer, soutiennent la mémoire et la performance orale, ou viennent se glisser de manière plus pérenne entre les lignes d’un article ou d’un livre. Nous les appelons dessins, images, schémas, graphiques, diagrammes ou encore figures, des mots que j’emploierai ici indifférem- ment, mais parmi lesquels je choisirai tout au long de ce livre de privilégier le dernier cité, pour des raisons que je dirai plus loin. En quoi consistent ces figures ? À quoi servent-elles ?

Et quelle en est l’histoire ?

L’objet est le plus souvent modeste. Il n’a ni la noblesse d’une belle page d’écriture, calligraphiée avec soin ou proprement imprimée au moyen de caractères dûment choisis et calibrés ; ni la splendeur des images qui parsèment certains livres, qu’il s’agisse de photographies ou plus anciennement de gravures ou de mi- niatures, peintes et rehaussées d’or dans les manuscrits médiévaux. De fait, les figures auxquelles ce livre est dédié sont loin d’avoir autant retenu l’attention des chercheurs et des savants que les pages d’écriture et les belles images. « Images » les figures le sont pourtant à leur manière, mais sur un mode mineur, simplifié, réduit à une forme abstraite. « Texte » elles ne le sont pas moins par les inscriptions qui les parsèment et en identifient les divers éléments. La figure – le schéma, le graphique, le diagramme, etc. – est une forme mixte, hybride, instable aussi puisque tantôt, abandonnant la simplicité de la ligne pour se parer de couleurs ou sacrifier au mimétisme d’un arbre, d’une échelle, d’un animal, elle se rapproche de l’image, tantôt au contraire, se couvrant de mots, elle se laisse davantage attirer par le modèle textuel. Ainsi, elle occupe une place centrale et intermédiaire, un entre-deux, parmi les formes d’acquisition, d’élaboration, d’expression et de conservation de la pensée, puisque non seulement elle participe à la fois du texte et de l’image, mais elle offre une forme maté- rielle à la réflexion en train de naître, elle en arrête et en synthétise dans l’instant les tours et les détours, elle en fixe les contours et en facilite la mémorisation, elle en soutient la traduction orale ou écrite à des fins pédagogiques, scientifiques ou rhétoriques.
Ce qui m’intéresse, c’est le statut et l’agir des figures, en tant qu’elles accompagnent et manifestent des opérations de pensée, faisant advenir celle-ci et l’inscrivant dans la matérialité de la page. La figure, telle que je l’entends dans ce livre et dans son titre, est l’une des formes possibles de médiation et de réalisation de la pensée, entre la virtualité de l’idée en gestation et son inscription matérielle et définitive dans la peau animale d’un parchemin ou le papier d’un livre imprimé. Ce n’est qu’un des usages du mot « figure » et il fait écho à d’autres, à commencer par les « figures de rhétoriques » qui sont elles aussi, à leur manière, des formes de médiation. Gérard Genette parlait de la « figure » comme d’une forme de l’espace « entre ce que le poète a écrit et ce qu’il a pensé ». Entendue dans sa généralité, cette proposition peut être ici aussi retenue et justifie la phrase citée en exergue de cette introduction.