lutter contre amazon

Comment Amazon a construit son empire sur la flemme

Avez-vous réellement besoin de commander ce livre tout de suite, maintenant, alors que vous êtes déjà lessivé par votre : boulot ; enfant de moins de trois ans ; bouteille de rosé pamplemousse de la veille  (rayer la mention inutile) ?

Et si, avant de céder à la douce impulsion de commander depuis notre lit ce livre tant désiré grâce à Amazon, on prenait quelques minutes pour réfléchir à la portée de notre geste ? 

Doliprane générique VS Start-up nation

Il est approximativement 11h30, vous ouvrez un oeil vitreux et plus ou moins acéré sur le monde. Votre tête pèse une ou deux enclumes de type Game of Thrones. Une boîte de Doliprane générique de 1000 mg et un grand verre d’eau à moitié vide trônent sur votre table de chevet : mais qu’avez-vous fait de mal hier soir ?

Vous commencez à reprendre pied, le souvenir de cette catastrophe immunitaire s’estompe peu à peu (le futur est déjà là selon Maddyness). Vous-vous traînez comme un lamantin désenchanté vers la douche. Vous êtes désormais à deux doigts de reconquérir votre existence, de reprendre pied dans la réalité, de ne faire qu’UN avec la start-up nation, bref… de redevenir acteur de votre propre vie.

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Mode zombie : Am Stram Bookstagram

Une tasse de café éventé à la main, vous vous connectez à votre compte Insta pour compter les likes de votre dernier post : « 8 », vous n’êtes pas Enjoy Phoenix, mais de toute façon, aujourd’hui, un semblant de visibilité chez Mark Zuckerberg, vous coûtera un flight ticket à quatre chiffres ($$$$) pour l’Asie du Sud-Est ou, pire, une ascension du Mont-Blanc avec Terre d’aventure. En direct, sous vos yeux embrumés, une bookstragrameuse vient de poster – pour célébrer Pâques et la résurrection du Christ – la nouvelle édition poche de La Société du spectacle de Guy Debord.

En direct, sous vos yeux embrumés, une bookstragrameuse vient de poster la nouvelle édition poche de La Société du spectacle de Guy Debord.

La première de couverture scintille au milieu des lapins et des clochettes en chocolat avec son filtre Clarendon. Vous ne le savez pas mais elle vient d’empocher 100 euros via paypal pour vider 50 grammes de Schoko-Bons sur son parquet en point de Hongrie. Votre sang anémié ne fait qu’un tour, vous vous précipitez par la fenêtre sur amazon.fr pour vous procurer le fameux livre qui multiplie les Schoko-Bons comme Jésus multipliait les pains. Vous-vous apprêtez à cliquer sur le célèbre « Ajoutez au panier » jaune du site… malheur ! 

Réfléchissez avant de financer les dick pic’s de Jeff Bezos

Arrêtez tout, tentez de retarder cet acte impulsif d’achat d’une toute petite seconde (utilisez la barre espace de votre inconscient s’il le faut, comme sur Netflix), posez-vous quelques questions de survie élémentaires en milieu urbain : Préférez-vous lire Guy Debord ou vous gaver de chocolat ? Cultivez-vous des envies de meurtre pour vos commerces de proximité ? Celle d’adoucir le divorce de l’homme-le-plus-riche-du-monde ?

Avez-vous réellement besoin de commander ce livre tout de suite, maintenant, alors que vous êtes déjà lessivé par votre : boulot, enfant de moins de trois ans, bouteille de rosé pamplemousse de la veille  (rayer la mention inutile) ?

7 conseils pour éviter la fin du monde

Vous êtes crevé par votre semaine, d’accord, et vous avez une flemme monumentale de sortir, c’est sûr, mais où sont passées vos valeurs, oui, OÙ ? Amazon c’est :

  • Des impôts payés dans une galaxie très très lointaine ;
  • Des taxes qui n’aideront pas à financer la place en crèche dont vous rêvez depuis 6 mois ;
  • Des salariés pilotés par ordinateurs voire remplacés par des chèvres qui broutent aux abords de leurs entrepôts (si, si) ;
  • Un site où l’on vend du Round Up pour stimuler le cancer de votre oncle, des jouets chinois inflammables et du Roland Barthes ;
  • Un très faible nombre d’emplois créés par rapport au chiffre d’affaire (178 milliard en 2018 !) ;
  • La fin probable  des commerces de quartier (et peut être, ensuite, du monde tel que vous l’avez connu) ;
  • L’être humain (c’est-à-dire vous !) remplacé par des robots, des drones ou des gens qui ont fait de meilleures études que vous.

Surtout, les livres que vous trouverez sur cette plateforme ne seront jamais moins chers, puisque la loi sur le prix unique du livre empêche de vendre un livre à un autre prix que celui fixé par l’éditeur.

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Amazon ou le bien commun avant la grosse flemme

Bref, savourez un instant de lucidité (voire d’innocent patriotisme économique), luttez contre l’écrasante fatigue du monde, et rendez-vous chez votre libraire (même si vous le détestez). Il vous le rendra bien :  vous y croiserez des livres parfois splendides, vous y humerez l’odeur du papier fraîchement imprimé et de la colle fraîche et vous pourrez toujours en profiter pour prendre un agréable café en terrasse. Tout ça pour le même prix que sur Amazon et avec un petit bonus :  les charges sociales, les salaires et les impôts payés par votre libraire concourent au bien commun et ne sont pas planqués offshore. C’est tout de même plus frais que de rendre heureux un drone ou d’abonder une fortune personnelle déjà estimée à 116 milliards de dollars.

Bref, ne laissez pas Jeff étendre davantage ses tentacules de la déréliction sur notre vie de tous les jours. Allez chez votre libraire (online ou IRL) ou sur le site de votre éditeur favori, les solutions alternatives sont nombreuses (pour le moment).

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Oui, mais alors, pourquoi continuer à en faire la promotion sur votre site et à diffuser vos livres sur leur plateforme ? 

Et bien, humbles éditeurs, nous n’avons déjà plus vraiment le choix, Amazon représente près de 15-20% de notre chiffre d’affaire (c’est à peu près la moyenne du secteur). Et Amazon trouve tous les moyens du monde pour s’affranchir de n’importe quel boycott, et conserver ainsi son quasi-monopole. C’est ce qu’a expérimenté, récemment, le journaliste Allemand Günter Wallraff, qui a tenté un bras de fer avec le géant américain, sans succès : après avoir retiré ses livres du site, Amazon est allé se fournir chez des grossistes…

À l’heure actuelle, personne d’autre ne peut les concurrencer que vous, nous, de la caféine et du paracétamol savamment dosés.

Johann Visentini