La Puce

Par Camille Le Doze

Broché (18,20 €)

Disponible sur Amazon, Fnac ou En librairie

220 pages

En bref

« Pucelette noirelette
Noirelette pucelette
Plus mignarde mille fois
Qu’un agnelet de deux mois »

Du XVIe au XVIIIe siècle, en France mais aussi dans toute l’Europe occidentale, poux, puces, punaises, cirons et morpions sont surabondants. Les puces notamment occupent une place considérable dans la vie quotidienne, dans les relations sociales et dans l’imaginaire. C’est à elles qu’est spécialement consacrée la belle étude de Camille le Doze.
Ce livre original et passionnant, le premier sur un tel sujet depuis le XVIe siècle, nous conduira de l’histoire naturelle jusqu’à la poésie érotique, en passant par le discours médical et la pharmacopée, les pratiques d’hygiène et de santé, les croyances et les superstitions, les manuels de civilité et les règles morales, les stratégies amoureuses et le commerce charnel, l’âme des bêtes et les ruses du Diable…

Historienne et éditrice, Camille Le Doze se penche sur les rapports entre l’Homme et ses parasites. Préface de Michel Pastoureau.

Presse

Assurément, la puce est partout et, comme le souligne avec force Camille le Doze, l’Ancien Régime est son « âge d’or ».

Michel Pastoureau

Sommaire

I. La puce n’est pas un petit désagrément 

  • Un monde où pullulaient les vermines de toutes sortes
  • Tu lacère le corps de l’homme avec une cruauté
  • Qui bien dort pulce ne sent
  • Elle blèce ceux qui veulent dormir, et n’espargne nul, ne roy, ne pape

II. Sus à la puce !  

  • La chasse à la puce une activité quotidienne
  • L’aluine ou la racine de concombre sauvage mouillée en eau de mer, fait mourir les pulces, le mesme fait l’eau dans laquelle aura trempé le melanthium en l’espandant parmy la maison
  • Prens du geneure, semence d’agnus cactus, coquilles d’escrevisse de fleuve, corne de cerf, graille de cerf, nasturce, origà, diptame, fais de toutes ces drogues une paste, et quand tu en voudras user brusle la
  • Prens argent sublimé, le mets en poudre, puis fais le bouillir en eau dedans un pot ou chaulderô lespace d’un quar d’heure. Et d’icelle d’eau arrouse ta chambre tous les iours par l’espace de quatre iours, plus ne sentiras aucune pusse par terre
  • Prens pouilleus flory, le brusle là où il y a des pulces mouront toutes de l’odeur, elles s’en yront, ne retourneront plus, c’est chose eprouvee

III. La puce observée à l’œil nu

  • La place de la puce dans la classification de la faune à la Renaissance
  • La description savante de la puce
  • Je ne daigne pas avoir de parents

IV. Le savant, c’est « celui qui mesure les rayons du soleil, dessine une mouche ou dissèque un puce »

  • La révolution de la lunette à puces
  • La réfutation de la théorie de la génération spontanée
  • La taxinomie de la branche des insectes
  • Une vermine admirée et peu redoutée

V. La puce et la sociabilité de l’Ancien Régime

  • L’épuçage, un rituel social remis en cause au xvie siècle
  • La puce dans les manuels de civilités
  • La propreté du corps, un moyen de se débarrasser de la puce ?

VI. Un insecte qui ne manque pas de piquant

  • L’épuçage, une pratique amoureuse
  • Elle méritoit d’être enchâssée dedans nos papiers
  • Que je n’ay plus d’autre pensee que de vouloir Puce devenir
  • L’itinéraire de l’amant-puce sur le corps féminin

VII. La femme et la puce

  • Cupidon et la puce
  • Toutes les femmes ont la puce à l’oreille !
  • Puce est nommée par les pucelles
  • Elle pratique tous les sept pechez mortels
  • Ne pourraient-elles pas employer mieux leur temps et par exemple chasser les poux de leurs enfants ?
  • La puce et la vertueuse Catherine
  • Les puces et les jeunes filles aux doigts enduits de salive

VIII. Dieu, le Diable et la puce

  • La question de l’âme des animaux
  • La puce, création divine ?
  • La puce, suppôt de Satan ?

IX. La fin d’un âge d’or de la puce

  • Hygiénisme et Yersinia pestis

Extrait

Avant-propos

Je sçay bien que quelque envieux
Voudra incontinent reprendre
Les poèmes ingenieux,
Par lesquels on a fait entendre
Tes plaisirs et tes passe-temps,
Disant que chose si petite
Comme une puce ne merite
Que l’on employe tant de temps.

Déjà, en 1579, Odet de Turnèbe, conseiller au parlement de Paris , admettait que consacrer un écrit à la puce pouvait être sujet à la risée. Aujourd’hui, rien n’a changé. Lorsque j’ai commencé, il y a une dizaine d’années, mes recherches «pucières», celles-ci provoquaient alors l’hilarité ou l’incrédulité. D’aucuns pensaient que je me lançais dans une carrière d’entomologiste, ou dans une étude sur la puce électronique. Non que les microprocesseurs ou la parasitologie ne m’intéressassent pas ; je tentais de raconter une histoire culturelle de la puce à l’époque moderne, période qui s’étend du XVIe au XVIIIe siècle, aussi appelée Ancien Régime.

L’histoire culturelle des animaux a dorénavant trouvé ses lettres de noblesse grâce à d’éminents chercheurs comme Michel Pastoureau ou Éric Baratay . Cependant, les historiens qui se sont intéressés aux cohortes de vermines des temps passés ne sont pas légion. Des auteurs anglo-saxons ont traité des parasites de la peau, de leur importance pour l’homme depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, de leur influence sur les traditions et les mentalités, mais dans des ouvrages qu’on ne trouve malheureusement pas dans les fonds des bibliothèques françaises. Jean-Marie Doby, qui fut professeur émérite de parasitologie à la faculté de médecine de Rennes, a voulu pallier la carence de cette littérature en langue française et consacra quatre volumes à l’étude de ceux qu’il nomme les «compagnons de toujours ». Dans le premier tome de cette série, consacré à la puce, Doby insiste, à côté des références entomologiques, sur la présence de ce petit parasite dans les arts figuratifs, la littérature, le langage ou les coutumes populaires 5. Cet opus, qui rassemble des données collectées durant une vingtaine d’années, me mit, si l’on peut dire, «la puce à l’oreille», en me donnant l’envie d’écrire une histoire de la petite «bestiole».

Robert Delort mentionne le parasitisme des puces dans son ouvrage pionnier Les animaux ont une histoire6. Des historiens du quotidien ou des mentalités ont fait référence aux relations qu’entretenaient les anciens avec le petit parasite. C’est le cas d’Alfred Franklin qui a rassemblé au XIXe siècle une large documentation sur les méthodes utilisées pour le chasser. Pus tard Georges Vigarello et Robert Muchembled étudient le rapport ambigu entre la vermine et la propreté à l’époque moderne. L’ethnologue Pascal Dibie consacre un chapitre entier de son Ethnologie de la chambre à coucher aux « parasites du lit », catégorie d’insectes dans laquelle il range la puce 7.

Si l’on ouvre une encyclopédie entomologique, l’on apprend que l’ordre des siphonaptères, plus communément appelés «puces», rassemble environ 2500 espèces réparties en 25 familles. Ces insectes parasitent les vertébrés à sang chaud, les mammifères et les oiseaux. Chaque espèce de puces se nourrit sur un hôte spécifique auquel elle peut faire quelques infidélités en s’attaquant à d’autres victimes. Par exemple, l’homme, qui possède sa «propre puce», Pulex irritans, peut également être piqué par celles de ses animaux familiers, chien ou chat, plus rarement par celle du rat. De couleur brune, la bestiole, qui mesure en moyenne 2 millimètres, est aplatie latéralement, avec une tête en carène, munie de deux yeux et d’une paire d’antennes ; cette morphologie lui permet des déplacements aisés entre les poils de son hôte. Elle ne possède pas d’ailes, mais parmi ses six pattes, les postérieures, mieux développées, lui permettent d’effectuer des bonds gigantesques. Une puce est capable de sauter à plus de 30 centimètres en hauteur et en longueur, ce qui correspond environ à 150 fois sa propre taille – prouesse sportive qui force le respect. La femelle pond par petites séries de 2 à 6 œufs (jusqu’à 800 au cours de sa vie) dans les litières et le pelage des animaux infestés, mais aussi sur le sol des habitations, dans les rideaux, les vêtements ou les draps de lit. Ces œufs, après s’être transformés successivement en larves et en nymphes, donnent naissance à des insectes adultes, prêts à partir en chasse de sang frais. Au cours de repas fréquents mais qui ne durent que quelques minutes, la femelle ou le mâle, après avoir percé la peau de leur victime, aspirent goulûment grâce à leur trompe, quelques cinq milligrammes de sang.

Au-delà de ces considérations entomologiques, il nous faut effectuer quelques bonds en arrière dans l’histoire pour mesurer les effets de la puce, qui n’ont pas été uniquement comiques. L’insecte hématophage fut l’agent vecteur du bacille de la peste, qui toucha pour la première fois l’Europe au VIe siècle8. Après cette pandémie qui dura jusqu’au VIIIe siècle, appelée « peste justinienne », le continent connut un répit de 600 ans. La peste semblait avoir disparu, mais elle n’avait pas dit son dernier mot et revint brutalement en 1347 pour ravager en cinq ans l’Europe entière. De 25 et 40 millions de personnes furent décimées en Occident, ce qui correspondait à un tiers ou un quart de sa population. Ce fléau des années 1347-1352, resté dans l’histoire sous le nom de «mort noire» ou «peste noire», n’était que le début – plutôt musclé – de la seconde pandémie qui fut la plus longue et la plus terrible que connut l’Occident. Installée en Europe pendant 400 ans et surgissant par poussées d’intensité variable, la maladie a hanté les hommes du XIVe au XVIIIe siècle. La peste s’affaiblit en Europe au XVIIIe siècle mais frappa ses derniers coups de 1720 à 1722 à Marseille – en décimant au passage la moité de la ville – , puis en Provence et dans le Gévaudan. Elle s’attaque à Moscou en 1771

Notre quotidien d’Européens du XXIe siècle ne connaît plus les horreurs de la peste. Nos animaux familiers se trouvent infestés de puces quand reviennent les beaux jours et certains de nos contemporains réagissent très mal à leurs piqûres, irritantes et prurigineuses, mais nous sommes loin des maux de la peste bubonique. Les assauts actuels menés par les parasites ne ressemblent en rien à ceux que connaissaient les hommes de l’Ancien Régime. L’époque moderne, précédant l’avènement des pesticides au XIXe siècle, fut marquée par un foisonnement de ces insectes sauteurs et suceurs de sang. La puce constituait alors un inconvénient majeur pour la société. Quels moyens les hommes utilisaient-ils pour la maîtriser ? En quoi le grouillement parasitique, difficilement contrôlable, révélait leurs angoisses ?

La puce, qui finit inéluctablement écrasée, fut néanmoins un objet d’étude fort prisé par les savants de cette période. Communément, on pourrait considérer plus naturelle la relation entre l’homme de l’Ancien Régime et la faune, mais cela ne permettrait pas de rendre compte de la complexité du rapport qu’entretenait cette société avec l’environnement. Du XVIe au XVIIIe siècle, elle a tenu une place particulière dans les arts, statut qu’elle n’avait pas connu au Moyen Âge et qu’elle ne retrouve plus à l’époque contemporaine. La puce a été ainsi utilisée de multiples manières pour structurer la conception humaine du monde, afin de l’exprimer et de la transmettre, parce qu’elle suscitait à la fois répulsion et fascination. Elle cristallisait les angoisses et les fantasmes humains, essentiellement autour de la sexualité et de la femme.

Dans le domaine littéraire, la puce connut son heure de gloire en pleine guerre de religion en inspirant une assemblée entière, qui composa le recueil de poème intitulé La Puce de Madame des Roches, publié pour la première fois en 1582 9. En 1579, les violences consécutives aux guerres civiles et religieuses qui secouaient le royaume amenèrent Henri III à faire tenir une session des «Grands Jours» à Poitiers. Il s’agissait d’une juridiction extraordinaire composée de magistrats des différents parlements. Ceux-ci, venus à Poitiers, en profitèrent pour se réunir dans le salon tenu par Madeleine des Roches et sa fille, Catherine. Étienne Pasquier, célèbre avocat parisien, aperçut une puce sur le sein de la jeune femme et eut l’idée d’organiser une joute poétique en hommage au petit parasite, qui possédait le privilège d’approcher de très près la belle. Toute l’assemblée applaudit cette proposition. À cette aimable lutte prirent part, outre Étienne Pasquier, Achille de Harlay, qui était le président du parlement de Paris, Antoine Loysel, Barnabé Brisson, Nicolas Rapin, Odet de Turnèbe, Claude Binet, Courtin de Cissé, Raoul Cailler et Catherine des Roches. En pleine guerre de religion, ces éminents personnages prirent le temps de composer des vers qui chantaient les louanges du petit suceur de sang, se baladant sur la blanche poitrine de leur muse Catherine…

Comme la puce qui bondit de victime en victime, pour écrire cet essai, j’ai sautillé d’un ouvrage d’histoire naturelle à un livre de remèdes, en passant par un poème, une pièce de théâtre, un traité de théologie ou une toile représentant une «chasse aux puces». Même si je me suis particulièrement concentrée sur l’époque moderne, certaines traditions ou concepts attachés à la puce proviennent de temps plus anciens et d’autres perdurent après le XVIIIe siècle.

Si la puce est liée dans les mémoires aux terribles épidémies de peste, de nos jours, elle fait partie du bestiaire utilisé pour décrire l’aimée ou le petit enfant. Cette vision ambiguë de la puce descendrait-elle de l’époque moderne ?

À présent, je souhaite que cette histoire soit «distrayante et amusante pour ceux que les moustiques ne rendent pas fous, que les puces ne tourmentent pas, que les poux ne piquent pas et ne détournent pas ainsi de la lecture .»