Les puces et l’érotisme

« Pucelette noirelette/ Noirelette pucelette/ Plus mignarde mille fois/ Qu’un agnelet de deux mois ».

Imaginez une puce sautillant sur la blanche poitrine d’une demoiselle, quelque part dans la France de l’Ancien Régime. Elle suscite tour à tour l’effroi, car elle se repaît du sang de ses victimes, et l’érotisme, puisqu’elle glisse d’amant en amant, au fil des effleurements érotiques. C’est sur ce paradoxe que débute l’essai de Camille Le Doze : la puce occupe, dans la littérature qui lui est dédiée, une place inconfortable entre les sciences (médecine, entomologie, histoire naturelle, botanique) et les pérégrinations littéraires d’écrivains illustres, tels que Goethe, Nicolas Rapin ou Johann Firschart.

Créature redoutable, la puce est vectrice des terribles pestes qui ravagèrent épisodiquement l’Europe du VIe au XVIIIe siècle, ce qui lui valut d’être classée au rang des vermines à éradiquer. Parallèlement, elle est la complice nocturne des amants, et selon les écrivains, le fidèle compagnon de lit des femmes du XVIe siècle. Nombre d’œuvres littéraires furent d’ailleurs écrites sur le sujet, ironisant sur les relations étroites et hostiles qu’entretenaient les puces et les femmes : la parole fut même donnée aux puces dans une pièce de théâtre intitulée Le Procès des femmes et des pulces, publiée anonymement en 1520. Au même moment, d’innombrables manuels d’hygiène dispensant des conseils sur l’élimination des puces furent également publiés, car aux XVIe et XVIIe, la « chasse aux puces » était devenue en quelque sorte un sport national.

honthorst puce femme

Cette guerre déclarée à la vermine par les médecins de l’époque est relativement inefficace, car si la puce pullule allègrement tout au long de l’Ancien Régime, c’est parce que les normes d’hygiène sont rudimentaires, et les connaissances médicales limitées. Ainsi, les médecins pensent alors que les mauvaises odeurs sont responsables de la peste : les gens s’aspergent donc de parfum, croyant faire fuir le mal.

Ainsi, les médecins pensent alors que les mauvaises odeurs sont responsables de la peste : les gens s’aspergent donc de parfum, croyant faire fuir le mal.

Les douches et les bains sont très rares, car l’imaginaire populaire attribue à l’eau des propriétés négatives* : on croit que l’eau rend la peau poreuse, et permet donc aux maladies d’entrer plus facilement dans le corps. Changer de chemise est par conséquent la principale norme d’hygiène.

De même, on croit à cette époque que la puce est une vermine sécrétée par la sudation, et symptôme d’un dysfonctionnement interne. La puce est alors à l’apogée de son pouvoir : compagne omniprésente, elle règne sur la surface de la peau comme dans les profondeurs de l’esprit.

Au XXIe siècle, la puce semble avoir disparu des ouvrages littéraires. Et de nos jours, c’est à peine si on lui consacre quelques lignes sur des notices d’hygiène expliquant comment les éradiquer. À peine prodigue-t-on des conseils pour les éviter. Pourtant les puces font toujours partie de notre quotidien et on les retrouve fréquemment sur le pelage des animaux. Pour autant, elles ne symbolisent plus cette expérience sensorielle unique, à la fois érotique et hygiénique, synonyme de plaisirs autant que de démangeaisons sanglantes. Le règne des puces est bel et bien terminé, car à l’ère de la médecine moderne et des insecticides, cette créature déchue ne peuple plus les fantaisies des poètes.

Pour aller plus loin : La Puce