Tout ce que vous devez savoir sur la communication politique

Depuis des décennies, des conseillers en communication tentent d’appliquer à la France les méthodes de communication américaines.

Le terme « com’ politique » ou « compol » est entré dans le langage commun sans que l’on ne sache à quoi il correspond : jeu d’influences ? Propagande ? Manipulation ? Ou nerf incontournable de la guerre politique ? Autant de zones d’ombre pour les citoyens et les électeurs, qui méritent d’être éclairées, en période électorale. Pierre-Emmanuel Guigo nous dévoile, dans Communication et politique, les liaisons dangereuses, la diversité des acteurs et des ingrédients mis en œuvre dans cette recette complexe qu’est la communication politique.

Communication politique : on nous trompe ?

La communication politique est un élément essentiel de la vie politique, mais elle est souvent diabolisée. Comment expliquez-vous cette ambivalence ?

Il est vrai que la communication politique souffre d’une certaine défiance, voire d’un rejet. C’est tout particulièrement le cas en France  aux États-Unis, l’usage des techniques de communication est moins tabou, par exemple. C’est dû tant à des raisons sociologiques qu’historiques. D’abord, la culture républicaine en France a toujours été défiante à l’égard des formes de personnalisation et envisage le rapport entre élus et citoyens comme directe. Les conseillers sont donc perçus comme des figures inquiétantes, et les techniques de communication comme de la manipulation.

Il faut en outre ajouter que la communication politique, si elle pouvait apparaître triomphante dans les années 1980, est souvent associée désormais aux « affaires » politico-financières notamment liées aux financements des campagnes électorales. Si l’on ajoute à tout ceci l’association de conseillers en communication à des scandales politiques plus récents – comme l’affaire Cahuzac par exemple  on comprend mieux un tel rejet.

Enfin, l’inconnu suscite souvent l’inquiétude. Or, contrairement aux conseillers en communication américains, les « spin doctors » français aiment entretenir le mystère, on leur attribue donc beaucoup de pouvoir et d’influence, alors que ce n’est pas toujours le cas.

Mais si la communication politique a mauvaise presse en France, cela n’empêche pas les politiques de l’utiliser largement et de recourir à des conseillers en communication, tout en affirmant le contraire. François Fillon s’est ainsi présenté comme le candidat « sérieux », loin du tapage médiatique, alors qu’il a recouru, comme les autres, aux services d’une agence de communication très connue sur le marché parisien. Il y a donc une claire hypocrisie qui entoure, en France, la pratique de la communication politique.

Il y a donc une claire hypocrisie qui entoure, en France, la pratique de la communication politique.

Les relations qu’entretiennent certains journalistes avec les personnalités politiques sont souvent critiquées. Ces relations entre médias et politiques nuisent-elle au pluralisme politique et à l’indépendance des médias ?

Ces relations privilégiées sont surtout le fait des journalistes politiques. Cela s’explique par leur parcours de formation (notamment à Sciences Po, où journalistes comme politiques ont souvent fait leurs classes). Un tel compagnonnage crée des liens qui perdurent. Il faut en outre ajouter que cette proximité est inhérente au métier de journaliste, en particulier de journaliste politique. Ceux-ci nourrissent leurs articles de confidences auxquelles ils n’ont accès que par leurs relations privilégiées avec les politiques.

Toutefois, il ne faut pas exagérer ces « liaisons dangereuses ». Le journalisme d’il y a plusieurs décennies était bien plus proche du politique, il était même souvent un journalisme engagé. Par ailleurs, les journalistes ont toujours une marge de manœuvre très grande à l’égard des politiques – ce qui ne fait pas disparaître certaines pressions bien sûr ! –, le récent ouvrage Un président ne devrait pas dire ça en témoigne bien…

Évolutions de la communication politique

On a tendance à penser la communication politique comme un phénomène américain : on pense notamment aux discours-spectacles de Donald Trump et à la personnalité charismatique de Barack Obama. Existe-t-il une communication politique de tradition française ?

Depuis des décennies, des conseillers en communication tentent d’appliquer à la France les méthodes de communication américaines. Les États-Unis sont ainsi vus comme le modèle par excellence de la communication politique car c’est le pays où elle apparaît la plus professionnalisée et générant le budget le plus massif, sans parler de la visibilité dont bénéficient les États-Unis dans le monde entier. Néanmoins, vouloir copier-coller les méthodes américaines en Europe ne fonctionne pas toujours, loin de là. D’abord, parce que le cadre légal est très différent. On ne peut pas, par exemple en France, acheter et recueillir sans limite des données sur les individus pour mieux les cibler. Les budgets de campagne sont également très limités, sans parler de l’interdiction qui entoure la publicité politique. Ces différentes restrictions font que la communication politique française paraît plus artisanale, reposant beaucoup plus sur les meetings, les tracts et la télévision.

Il faut ajouter à cela que chaque pays a ses spécificités, et la communication politique s’inspire beaucoup du passé national. En faisant campagne, les conseillers en communication, comme les politiques, ont en tête des campagnes antérieures. Nous l’avons vu en 2012 lorsque Nicolas Sarkozy a choisi une affiche de campagne assez proche de celle de François Mitterrand de 1988, alors que celle de François Hollande avait des fausses allures de « La force tranquille » de 1981. Parmi ces spécificités de la communication politique à la française il y a sans doute notre débat d’entre-deux-tours, assez différent des américains, puisqu’il repose sur le face-à-face, alors qu’aux États-Unis les candidats font face au public. D’autres spécificités sont plus liées à l’environnement médiatique, les chaînes audiovisuelles étant en France plus neutres qu’aux États-Unis.

La communication politique a beaucoup évolué avec l’apparition d’Internet. De quoi sera faite, selon vous, la communication politique du futur ?

L’historien est rarement devin, mais étonnamment on peut constater une redécouverte depuis au moins 10 ans des méthodes anciennes de communication. Les campagnes de 2008 et 2012 de Barack Obama ont été l’occasion d’une réinvention de la bonne vieille méthode du porte-à-porte, appuyée sur le web. Quant aux meetings, ils ont occupé une place centrale dans la campagne française de 2012. En 2016, alors que l’équipe Juppé avait massivement utilisé les méthodes de Big data importées des États-Unis, c’est François Fillon qui a emporté la primaire en utilisant prioritairement la télévision et les meetings justement.

La communication politique du futur sera peut-être l’articulation entre les techniques plus modernes de communication issues du web et celles plus anciennes, le tout permettant un ciblage plus fin des électeurs. En tout cas, les candidats sont de plus en plus soumis à l’immédiateté. Les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux ont profondément accéléré le tempo médiatique, le rendant permanent. C’est là une tendance structurelle depuis plusieurs décennies. François Hollande a tenté de s’y opposer, négligeant internet et les chaînes d’information en continu, il a finalement été obligé de s’y plier sur la fin de son quinquennat.

Pour aller plus loin : Com & politique, Les Liaisons dangereuses