Hadrien : Maître de Rome et des Confins

Le monde romain n’est pas hermétique, et les échanges avec les espaces situés au-delà des frontières sont courants et essentiels.

 

À l’occasion de la sortie des Voyages d’Hadrien, Dimitri Tilloi d’Ambrosi revient sur les tribulations du prince lettré et sur leur importance pour l’exercice du pouvoir impérial. 

L’empereur Hadrien fascine par sa personnalité, était-il fondamentalement différent de ses prédécesseurs ?

Le portrait qu’en font les auteurs antiques ne peut que nous étonner. Hadrien apparaît comme un prince profondément cultivé. Ce savoir s’exprime dans des domaines exceptionnellement variés comme l’architecture, la peinture, la littérature, la philosophie, la chasse et même… l’astrologie. Cette insatiable curiosité, qui lui est parfois reprochée, est étroitement liée à ses voyages. C’est le cas lorsqu’il se rend sur des sites célèbres qu’il a vraisemblablement découverts à travers ses lectures. Son amour de la culture, au sens large, n’est pas totalement inédit, puisqu’on le retrouve chez d’autres princes, comme Néron. Néanmoins, sa conception du pouvoir est assez classique, il reste profondément influencé par Auguste, le fondateur du régime impérial et, de ce point de vue, s’inscrit dans une certaine forme de continuité.

Quelle est la situation de l’Empire à l’époque ?

Hadrien appartient à la dynastie des Antonins qui règne au IIe siècle. Or, l’Empire connaît son apogée durant cette période. Trajan, le prédécesseur d’Hadrien, repousse les frontières de l’Empire à leur extension maximale, notamment en Orient. Hadrien fait le choix d’abandonner une partie de ces conquêtes en raison de la difficulté à contrôler ces nouveaux territoires. Sous son règne, la situation militaire est relativement calme, si l’on omet une importante révolte en Judée durant les années 130. L’économie est prospère et d’étonnantes quantités de marchandises s’échangent d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Les cités vivent, surtout en Orient, un véritable âge d’or. D’un point de vue politique, le pouvoir connaît une grande stabilité. Pour preuve, mis à part Commode en 192, aucun empereur de cette dynastie n’est assassiné.

Quelle place les voyages occupent-ils dans sa vie ?

Les voyages tiennent une place centrale dans le règne d’Hadrien, puisqu’une grande partie de son règne se déroule hors d’Italie, où il est occupé à rencontrer ses sujets, d’un bout à l’autre de l’Empire. Sur dix-huit années de règne entre 117 et 135, il passe environ dix ans sur les routes, visitant sans aucun doute près d’une cinquantaine de cités différentes. Les moyens déployés pour assurer son intendance sont considérables puisqu’on estime que la suite d’Hadrien est composée d’environ cinq mille personnes. De l’Andalousie, dont l’empereur est originaire, jusqu’à Palmyre aux confins de la Syrie, la distance est de plus de 5000 kilomètres. Cette étendue rend compte de l’immensité des itinéraires parcourus tout au long du règne du prince voyageur.

De l’Andalousie, dont l’empereur est originaire, jusqu’à Palmyre aux confins de la Syrie, la distance est de plus de 5000 kilomètres.

Ces pérégrinations ont pesé sur les cités traversées, en raison des ressources mobilisées à l’occasion et de leur coût parfois exorbitant. Néanmoins, à chaque étape l’empereur accorde de nombreux bienfaits et sait se faire dispensateur de richesses, contribuant ainsi à sa gloire et à celle de l’Empire.

Que signifient la frontière et les confins pour un Romain ?

Pour les Romains de l’époque impériale, les frontières de l’Empire signifient avant tout une séparation entre les Barbares et le monde civilisé. Elles revêtent donc un aspect idéologique et symbolique. Durant le Haut-Empire, Rome s’empare de certains des confins du monde connu et habité, par exemple en Angleterre. L’universalité d’un empire va de pair avec le contrôle des limites du monde, comme le souhaitait en son temps Alexandre le Grand. Les frontières romaines sont aussi matérielles, comme en témoigne la construction du mur d’Hadrien, long de 117 kilomètres. C’est une des traces les plus connues de son règne. Ces frontières prennent des formes hétérogènes, on trouve par exemple différents types de systèmes défensifs, du simple réseau de forts jusqu’au mur de pierre, en passant par la palissade en bois ou la limite naturelle. Malgré tout, le monde romain n’est pas hermétique, et les échanges avec les espaces situés au-delà des frontières sont courants et essentiels.

Les voyages tiennent-ils la même place dans la civilisation romaine que dans notre société actuelle ?

Les déplacements sont foisonnants dans l’Empire romain. Les mobilités sont avant tout le fait des marchands ou des soldats le long des frontières. Ajoutons également les nombreux administrateurs de l’Empire qui jouent un rôle central dans l’échange d’informations entre Rome et les provinces. L’immense réseau de routes entretenu par Rome tient une place fondamentale, et le service de poste impériale organisé par Auguste permet des miracles pour l’époque. En outre, il n’existe évidemment pas de tourisme « organisé » comme à notre époque. Mais les visites d’agrément sur des sites célèbres, le plaisir d’admirer de magnifiques paysages, ou la fascination pour les phénomènes naturels, justifient certains déplacements. Notons également la réalité d’un véritable « tourisme sacré » où les malades se rendent dans toutes sortes de sanctuaires de guérison à travers l’Empire, ou bien dans des lieux réputés pour leurs vertus curatives.

Propos recueillis par Johann Visentini

Pour aller plus loin : Les Voyages d’Hadrien, sur les traces d’un empereur nomade.