La bête qui pense

Par Jean Maurel

Broché (17,20 €)

Disponible sur Amazon, Fnac ou En librairie

130 pages

En bref

Hugo, un génie monumental de la philosophie  ?

Il semble bien que la consécration du Panthéon ait valu à l’auteur de Notre-Dame de Paris une trop bonne réputation qui le paralyse et le magnifie dans une pose républicaine et poétique, pieuse, archétypique et archaïque de démiurge grandiloquent.

Il serait temps que « l’histoire entrât dans la voie des aveux », que l’on commençât vraiment à reconnaître l’ampleur subversive d’un engagement dans lequel la mise en œuvre littéraire se dévergonde, s’encanaille et s’expose à la mêlée de l’histoire, faisant de la plume une arme noire plongée dans un encrier en forme de barrique cynique pour démolir en construisant et construire en démolissant, agitant et remuant autant les idées que les cœurs. Dans ce qui se présente comme une très originale insurrection démocratique, l’homme des Misérables aura su, non pas seulement parler des barricades mais s’ingénier à barricader son œuvre, à se dissimuler dans l’ombre de l’âne pour poser, dans toute sa fraîcheur et sa rigueur, le problème toujours ouvert, l’équation jamais résolue, de la liberté compliquée par l’égalité.

« Entre philosophie, esthétique et défi littéraire, cette oeuvre inclassable de Jean Maurel réveille le désir de comprendre ou plutôt de surprendre la pensée dans ses chemins de traverse […] Enfin, grâce à cette nouvelle édition, nous retrouvons ce regard original et stimulant qui nous ouvre les portes d’un Victor Hugo franc-tireur. »

Maître de conférences honoraire de philosophie à la Sorbonne, ancien professeur au Collège international de philosophie, il a publié, en 1985, aux PUF, Victor Hugo philosophe, matrice de ce livre et, en 2006, Le Vocabulaire de Victor Hugo chez Ellipses.

Presse

En attente

Sommaire

La philosophie à perte de texte

  • Guide-âme manifeste : pour une philosophie parisienne !
  • Simple hommage, en passant

I. Un philosophe de droit, hors la loi

  • Un scandaleux tombeau à l’abandon
  • La lucide lumière de l’ombre : la devinette Myriel
  • Le spectre du droit
  • Le coup de génie sublime du misérable

II. Le problème de la pensée

  • Qui nous appelle à penser ?
  • « Le promontoire de la pensée »
  • Hors la loi, hors le moi
  • La science du pitre

III. « Filousophes » à profils perdus

  • La métaphysique pique du nez
  • Un tour de force
  • Idée-visage à perte de vue
  • Le Filousophe-nez
  • Cherchez la canaille dans la barbe

IV. L’ombre de l’âne : le démon du Démos

  • « Une force qui va »
  • Le Hi-Han de l’âne bâté
  • L’apothéose de l’âme et le manteau d’Isis

V. Un chien enragé dans la mêlée : une misère barricadée 

Extrait

Rencontrer la chose Hugo – comment désigner autrement cette flagrante énigme ? – c’est, à coup sûr, pour le philosophe une épreuve redoutable mais, il faut le déclarer d’emblée, capitale et décisive. Non, comme on pourrait hâtivement le supposer, qu’il s’agisse du cas vraiment limite, de l’aporie stérile, à désespérer Socrate, d’une Misère qui aurait totalement manqué de Ressource. Tout au contraire, sans avoir peur du paradoxe, on espère pouvoir suggérer qu’on a affaire, en l’occurrence, à une opération, une machination, une manœuvre, un coup philosophique d’une grande efficacité et d’une rigoureuse pertinence, dont la cohérence, la pénétration, l’inventivité sont d’autant plus profondes qu’elles ont mieux su se dissimuler et se réserver, à ce point que l’on commence à peine à en entrevoir les exactes portées. Une telle découverte, si tard ! pensera-t-on. Il aura peut-être tout simplement fallu attendre qu’on en fût digne, qu’on en fût capable : ne devions-nous pas être revenus de toutes nos illusions présomptueuses, pour pouvoir l’accueillir, de toutes nos vanités d’hommes modernes trop prompts à accuser les vétérans d’avoir pris les mots pour des choses pour ne pas, un jour, avoir cruellement à se dédire : « Les peuples ont l’oreille dure et la vie longue ; ce qui fait que leur surdité n’a rien d’irréparable. Ils ont le temps de se raviser » (W. Shakespeare). À vrai dire, la révélation ne surprendra pas tout le monde : ne doit-on pas avoir ici une admirable occasion de vérifier la sentence d’après laquelle la philosophie vient toujours trop tard ? Les hommes attendent-ils que ceux qui ne sont bien souvent que les gardiens gris des choses mortes aient collecté les enregistrements sismographiques et les aient exposés didactiquement pour reconnaître les vérités intenses grâce auxquelles ils peuvent mieux vivre, apprendre à aimer et pour lesquelles ils meurent sans avoir à les dire ?

Ne savons-nous pas confusément qu’un formidable coup de mine culturel vital avait secoué, bouleversé, travaillé, et travaillait encore le sous-sol de notre temps, dans la discrétion de l’ombre ? Ne nous doutions-nous pas que ce terrible coup de cœur à la résonance incalculable était tout autre chose qu’un simple coup de tête affectif ? Sommes-nous si naïfs que nous ignorions la densité algébrique, la concision elliptique et allusive, la complexité enveloppée et resserrée d’évidences apparemment simples ? Il faut vraiment avoir bien mal vécu pour penser que l’intelligence du cœur n’est qu’un mot alors qu’elle désigne une extrême vigilance à l’égard des facilités verbales. Il y a quelque chose de dérisoire à vouloir donner des nouvelles de ce qui a si justement touché ceux qui dans la nuit du monde en étaient dignes, de ce qui, pour eux, sans qu’ils aient pu ou voulu le commenter, était le soleil levant, la force vive d’un nouveau jour, de la nouveauté même, l’éclair rougeoyant des mots de gueule dégelés, la chaleur à portée de cœur, sous la main, de plain-pied de la liberté flagrante. […]