Écrire son premier roman

Sont-ils jeunes ou vieux ? Enseignants ou journalistes, ingénieurs ou ouvriers ? Avaient-ils déjà écrit ou sont-ils de complets néophytes ? Le manuscrit envoyé par la poste est-il un mythe ? Le réseau, la voie royale ?

Livre hebdo consacre son « Édito » et son dossier spécial à Entrer en littérature de Bertrand Legendre et Corinne Abensour et aux romanciers qui écrivent leur premier roman.

Devenir romancier

Sont-ils jeunes ou vieux ? Enseignants ou journalistes, ingénieurs ou ouvriers ? Avaient-ils déjà écrit ou sont-ils de complets néophytes ? Le manuscrit envoyé par la poste est-il un mythe ? Le réseau, la voie royale ? Comment voient-ils leur éditeur ? Pendant deux ans, les universitaires Bertrand Legendre et Corinne Abensour, spécialistes de l’édition contemporaine, se sont plongés dans les profils d’auteurs d’un premier roman, ont étudié leur parcours professionnel, leur rapport à l’écriture, la façon dont ils sont parvenus à se faire éditer…

Pendant deux ans, les universitaires Bertrand Legendre et Corinne Abensour, spécialistes de l’édition contemporaine, se sont plongés dans les profils d’auteurs d’un premier roman, ont étudié leur parcours professionnel, leur rapport à l’écriture.

Responsables des masters Politiques éditoriales et Commercialisation du livre de l’université Paris-13 Villetaneuse, ils publient chez Arkhê Entrer en littérature : premiers romans et primo-romanciers dans les limbes (155 pages, 18,50 euros).

Leur enquête fouillée, la première de cette ampleur, a été réalisée avec le soutien du Centre national du livre et de la Sofia. Ils ont travaillé à partir de la base bibliographique Electre et, surtout, à partir de questionnaires auxquels ont répondu 278 auteurs. Dans leur sillage, ils ont entraîné des chercheurs britanniques et québécois sur le même sujet. «La posture de l’auteur romantique prévaut chez les primo-romanciers français. On la retrouve beaucoup moins en Angleterre, où leur approche est beaucoup plus pragmatique», analyse Bertrand Legendre. En France, Gallimard est l’éditeur le plus sollicité par les auteurs, mais c’est L’Harmattan qui, entre 1988 et 2008, a publié le plus grand nombre de premiers romans (132), suivi par Flammarion (99), Gallimard (79), Seuil (73) et Grasset (54).
Avant toute chose, si le «premier» roman est forcément le passage obligé de tout écrivain en devenir, c’est aussi une catégorie artificielle.

C’est un phénomène construit par les médias dans les années 1990, et dont les éditeurs se sont emparés. Aujourd’hui, les éditeurs ont un regard un peu plus distancié, relève Bertrand Legendre. On peut le mettre en relation avec le phénomène du jeunisme, du renouvellement des figures dans l’ensemble des activités culturelles et médiatiques.

Écrire son roman et le publier

Le tableau de famille de ces primo-romanciers comporte bien des nuances, mais de grands traits se dessinent. Le portrait-robot d’un auteur de premier roman montre qu’il a entre 30 et 50 ans et qu’il travaille dans un domaine culturel, du moins en lien avec l’écrit. 60 % de ceux qui ont été interrogés exercent soit dans l’enseignement et la recherche (19 %, 23 % avec les étudiants), soit dans l’art et le spectacle (14 %), soit dans le milieu du livre (13 %) ou dans la communication (12,5 %). La fonction d’héritage, au sens bourdieusien du terme, joue donc à plein. Un tiers ont d’ailleurs déjà publié des articles, des nouvelles, des essais, des livres dont ils étaient les nègres… avant de passer au roman. En zoomant sur la photo, les chercheurs ont remarqué que les profs savaient mieux repérer les maisons qui pourraient leur correspondre – et ce en dehors des «Galligrasseuil» –, et qu’ils faisaient davantage carrière d’auteur que les autres.

Vivre de sa plume

Moins sensibles au prestige éditorial, les journalistes, eux, s’adressent en priorité à des éditeurs capables de leur assurer visibilité médiatique et succès commercial (Stock, Seuil, dans les années 2000). Ils font preuve d’un «certain opportunisme» et se tiennent plus informés des ventes. Chez les auteurs professionnels du livre, «l’importance des réseaux de recommandation ou de transmission» est marquée. Ils ont d’ailleurs le plus d’écho médiatique, et 69% d’entre eux publient au moins un second roman (70% pour les auteurs qui exercent un métier dans les arts et le spectacle).

Mais ils ont beau évoluer dans ces sphères professionnelles– ce qui peut faciliter les contacts –, la plupart ignore tout du monde éditorial. Contrats, processus d’édition, chiffres de vente, de mise en place, droits dérivés… Ils découvrent chaque étape. «On a rencontré des auteurs convaincus de toucher 50%de droits d’auteur», souligne Bertrand Legendre. Et, parfois, «la durée d’exposition de leurs livres leur procure un sentiment de frustration, relève Corinne Abensour qui ajoute : toutes les connaissances acquises avec cette première expérience d’édition vont faire d’eux des acteurs totalement différents sur le livre suivant.» Désormais déniaisés, ils s’impliquent davantage dans la promotion,mobilisent leurs réseaux (surtout les enseignants), et se préoccupent de la capacité de diffusion de leur éditeur […]

Catherine Andreucci

Pour aller plus loin : Entrer en littérature