L’Énigme de la manie

Par Paul-Laurent Assoun

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190 pages

 

En bref

Ce livre comporte deux volets. Un retour à la manie, cet état euphorique, pathologie de l’excès de l’humeur et de l’agir. Freud lui-même la désigne comme le point de butée de la théorie de la mélancolie : comment le sujet bascule-t-il dans cet état de grâce catastrophique, qui fait fusionner le moi avec son propre idéal, surmontant triomphalement la perte ?
Un examen métapsychologique et clinique permet de situer les différents « états maniaques » (kleptomanie, toxicomanie, etc.) ainsi que les moments maniaques du collectif. Ensuite, l’examen d’un «cas», espèce de « passion construiseuse », celle du facteur Cheval (1836-1924), personnage énigmatique que son « Palais idéal » a fait passer à la postérité. Suppléance monumentale dans une logique psychotique sous-jacente, elle prend sens comme « arc de triomphe » sur la perte.

L’énigme de la manie donne ainsi accès à la vérité du sujet et du collectif – comme l’indique la fête primitive de l’« après-Meurtre » du Père. Liberté folle qui jouit de triompher de la mort et de la castration.

Paul-Laurent Assoun : Psychanalyste, professeur à l’université de Paris 7 et responsable du master Psychanalyse et champ social, membre du Centre de recherche Psychanalyse, médecine et société. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont Le démon de midi (L’Olivier, 2008) et le Dictionnaire des oeuvres psychanalytiques (PUF, 2009).

Presse

Sciences Humaines

Se référant à Sigmund Freud, Paul-Laurent Assoun nous explique que la manie n’est pas le contraire de la mélancolie, mais son destin majeur, sa détermination la plus frappante. « Le trajet de la mélancolie à la manie, en sa logique inconsciente, est celui qui va de la défaite du moi face à l’objet au triomphe du moi sur l’objet. » Ce qui donne à la manie un aspect d’« état de grâce catastrophique ».

Sommaire

Introduction : La manie à l’épreuve de la psychanalyse …

  • Retour à la manie
  • Un singulier destin de la mélancolie
  • Un état de grâce catastrophique
  • L’Arc de Triomphe ou le Palais idéal du nommé Ferdinand Cheval

Première partie : Portrait métaphysique de la manie

I. Freud et la manie …

  • La manie dans le texte freudien
  • Tableau clinique de la manie
  • Le portrait freudien de l’état maniaque
  • Jeux et enjeux de l’humeur
  • La percée freudienne : destins de l’objet
  • Le « complexe manie-mélancolie »

II. L’événement maniaque et son économique …

  • De la physique des fluides à l’économie inconsciente
  • L’Umschlag ou l’énigme météorologique de l’humeur maniaque
  • Métapsychologie du « revirement »
  • De la « mutation d’investissement » à l’humeur changeante du surmoi

III. Dynamique de l’idéal du moi maniaque …

  • L’idéal du moi girouette
  • L’ivresse bienheureuse : confluences des instances
  • Le maniaque, luron mystique
  • Les noces du moi et de l’idéal
  • L’affect spéculaire : le moi triomphal ou le « toupet maniaque »
  • Toxique de l’idéal, idéal toxique

IV. Le triomphe sur l’objet ou la liberté maniaque …

  • L’énergie à revendre ou la libération maniaque
  • La réversion narcissique
  • La victoire sur l’Objet
  • L’heure triomphale ou la gloire maniaque
  • « Libre comme l’air », « libre comme la mort » : la victoire sur l’amour

Deuxième partie : Le symptôme maniaque : clinique du sujet et lien social … 

V. Clinique des états maniaques … 

  • La manie des toxiques
  • La boulimie ou l’appétit maniaque
  • La kleptomanie ou l’ivresse du vol
  • Le ressort maniaque de l’acte suicidaire
  • La passion et son aura passionnelle

VI. Lien social et manie : de la déliaison maniaque à la sublimation …

  • La manie d’origine
  • La manie ritualisée
  • La manie de masse
  • La manie sublime

Troisième partie : Le triomphe du facteur Cheval … 

VII. La révélation ou la pierre de touche …

  • Le cas de Ferdinand Cheval
  • L’objet insolite : « l’une-pierre »
  • L’un (e) en série
  • Sacralisation de l’insolite
  • Du « trauma scopique » à la « signification personnelle »
  • La « pierre d’achoppement »
  • Du marcheur mélancolique à l’architecte maniaque

VIII. Le palais de l’idéal ou l’arc de triomphe …

  • De la pierre à l’édifice
  • Le chantier ou le faire-oeuvre de la pierre
  • Du Temple au Palais, de la Nature à l’Idéal
  • L’abri des imagos
  • Le bestiaire ou le totem vivant
  • L’Arc de triomphe, de Napoléon à Cheval
  • La magie trompe-la-mort
  • Le havre mélancolique ou la réussite maniaque

IX. Du délire homologué ou la consécration posthume … 

  • Le délire créateur de lien social
  • L’auteur propagandiste ou l’auto-écriture
  • Le délire breveté : le « sinthome d’utilité publique »

X. La construction maniaque : du tombeau du père au mausolée de la déesse-mère …

  • Le « cas Cheval » ou l’énigme de Pierre
  • Le remède de (C)heval
  • Le tombereau du père
  • Le Temple de la Mère
  • Le Tombeau du sujet

Conclusion : La construction maniaque ou la guérison pathologique

  • Une métonymie de pierre
  • Le symptôme brut ou la folie de l’Auteur
  • L’oeuvre achevée ou la guérison pathologique : Ferdinand Cheval vs Louis II de Bavière
  • Le « sujet en croix »

Extrait

La manie à l’épreuve de la psychanalyse

Le statut psychanalytique de la manie reste à établir.  C’est à quoi va s’employer le présent ouvrage. Que signifie cet éclatement euphorique du sujet que vient signer l’accès maniaque – somme toute l’une des formes les plus spectaculaires et des représentations les plus populaires de la folie ? Qu’est-ce que ce symptôme étrange, célébration exaltée d’un soi grandiose, au point de paraître s’affranchir de tout symptôme, puisque le sujet semble alors se jouer de la culpabilité – par ailleurs index du sujet même en sa vérité inconsciente ?

Retour à la manie

Que la manie demeure en quête de statut analytique, cette affirmation se justifie, pour le dire sommairement, par le constat d’une relative marginalisation ou «minoration» de la question, au sein même de la théorie psychanalytique. Contraste surtout entre l’abondance et la fécondité du développement freudien sur la mélancolie et le caractère apparemment parcimonieux de sa parole sur la manie.

C’est ensuite l’idée implicite que la mélancolie serait le versant « intelligent » du symptôme, dont la manie constituerait en quelque sorte l’expression simpliste, voire triviale. Si le «grand homme», «l’homme de génie» est réputé d’inclination mélancolique – depuis le Pseudo-Aristote au moins –, le maniaque apparaît comme un excentrique, «un original au sens fâcheux du terme» qui se réjouit à peu de frais, célébrant ses propres Saturnales. Contraste entre les sinuosités de la subjectivité doloriste déchirée et la grossière réjouissance maniaque du « fêtard » qui « se lâche » (expression dont la trivialité anale n’échappera pas). La tristesse possède un cachet d’intelligence, là où la joie sent le primaire.

Cela va bien au-delà, on s’en doute, de l’opposition entre «Jean qui rit » et «Jean qui pleure». Car Jean qui rit est simplement joyeux comme Jean qui pleure triste, tandis que le mélancolique ne peut plus même ressentir de la tristesse (étant la tristesse incarnée) et que, sous le masque de folle gaîté maniaque, on peut entrevoir le rictus mélancolique et les grimaces d’une secrète douleur d’origine – ce qui donne à ce «fou de joie» des faux airs de clown triste…

Ivre de deuil, la modernité n’aborde la manie qu’en la confinant dans la fête – où elle a sa place en effet, mais en un sens autrement déterminant que le divertissement, tant le maniaque s’avère bien autre chose qu’un banal « noceur », portant l’être festif à une dimension cosmique. Du moins ses noces sont-elles de tout autres fastes…

Enfin, le syndrome cyclique, devenu «bipolaire» – selon sa terne dénomination humorale, homologuée en sa vulgate psychiatrique qui exerce son autorité dans le mode de penser contemporain – a «coincé» le moment maniaque dans un cycle – zigzag où dès lors il n’a plus à être interrogé pour lui-même, tandis que la dialectique des deux moments est court-circuitée. L’idée neutre de «pôle» neutralise du même coup la question essentielle, sous le parapluie d’une théorie humorale spontanée, quoique neuro-biologiquement relookée. Du coup la transformation maniaque n’a plus à être interrogée, pas plus qu’un changement météorologique, dont on ne peut que décrire les déplacements d’air… C’est un zapping inexplicable qui n’attend que le régulateur d’humeur (chimique).

On le voit à ce rappel : il y a des raisons théoriques, psychanalytiques et psychiatriques et un enjeu clinique central à revenir à la question de la manie – avec le sentiment qu’il reste à en dire beaucoup.

Un singulier destin de la mélancolie

Comme souvent, le rappel d’une difficulté impose le retour à Freud – tant ses énoncés sur la manie restent à redécouvrir en leur portée. Freud introduit la manie comme «la propriété» de la mélancolie «la plus remarquable» et celle qui «demande le plus d’explication» (die merkwürdigste und aufklärungsbedüftige Aufklärung) 1. Formule décisive : la manie n’est pas seulement l’envers ou le complément de la mélancolie, mais son destin majeur autant que sa propriété ou particularité (Eigentümlichkeit) – soit sa possibilité interne de « se transformer dans l’état symptomatiquement opposé de manie », même si toute mélancolie ne connaît pas un tel «destin». La manie n’est donc pas que le contraire de la mélancolie : c’en est tout d’abord la détermination la plus frappante et la potentialité révélatrice. Si «le revirement en manie n’est pas un trait nécessaire dans le tableau de maladie de la dépression mélancolique»2, si le devenir-maniaque comme «possibilité constitue un trait indépendant des autres caractères du tableau de maladie», la manie a à être réinterrogée, en son être même, depuis la mélancolie. L’«impression» fondamentale dont fait état Freud est que «la manie n’a pas d’autre contenu que celui de la mélancolie», que «les deux affections luttent avec le même “complexe”» 3.

La théorie de la manie mérite dès lors un meilleur sort que celui d’appendice à un «Traité de la mélancolie» : bien plutôt, le destin maniaque de la mélancolie est si décisif que toute théorie de la mélancolie décomplétée d’une théorie de la manie se trouve mutilée. Et si en un sens la manie contenait, en aval, la clé de la mélancolie – comme la mélancolie l’éclaire en amont ? Une fois la mélancolie « expliquée », en sa causalité inconsciente, elle rend possible une mise en situation de la manie : mais c’est alors la manie qui demande un surplus d’explication. La mélancolie, ressort de la manie, n’en est pas le dernier mot ! Apparue au bout du travail de deuil et de son destin pathologique, elle constitue un événement inédit, qui à son tour demande explication et renvoie, via la question économique centrale, au processus sur toute sa couture en quelque sorte. C’est ce « reste » – plus-value maniaque de la théorie générale de la mélancolie – qu’il s’agit de prendre en compte ici et de solder au profit d’une économique inconsciente. Peut-être en ce sens la manie contient-elle la clé de la mélancolie, au sens où la comète se réalise dans sa « queue »[…]