adultere et relations extraconjugales

La science de l’adultère

Dans le règne animal, toutes les stratégies imaginables de reproduction existent : de la monogamie du manchot empereur qui se conduit en père dévoué, à la fidélité absolue du castor dont la femelle ne cherchera pas à se reproduire avec un autre, même si son partenaire est stérile.

L’adultère est-il un atout du point de vue de l’évolution ? On sait que les rapports extraconjugaux, même s’ils restent une pratique minoritaire, font partie de la sexualité de l’être humain. Moins évident, cette pratique est peut-être bonne à prendre du point de vue de l’évolution, dès lors qu’elle donne la possibilité de disperser ses gènes sans surcoût. Inversement, elle ne l’est sans doute pas pour le conjoint chargé d’élever une éventuelle progéniture adultérine.

De nos jours, suivant les sources, on estime qu’entre 3 % et 10 % des pères élèveraient l’enfant d’un autre1. Aux États-Unis, le nombre annuel de tests de paternité vendus dans le commerce a plus que doublé entre 1991 et 2001, passant de 142 000 à plus de 300 0002, preuve d’une inquiétude ou d’une panique morale croissante sur le sujet. Pourtant, si on essaye d’établir la médiane de cette fourchette, on observe un pourcentage mesuré de conjoints floués, oscillant autour de 6 %.

Polygamie animale versus monogamie humaine

Dans les sociétés occidentales, le modèle traditionnel de la famille nucléaire qui s’est imposé depuis le Moyen Âge (i.e. un couple héréosexuel élevant les enfants qu’il a conçus), même s’il tend à se fissurer, reste à la fois majoritaire en nombre, mais surtout encouragé par les états et les institutions religieuses. Mais quel rôle ces instances jouent-elles réellement dans la solidité et la reproduction de ce modèle à travers les époques ? La famille nucléaire serait-elle également le reflet des besoins de l’espèce ?

Dans le règne animal, toutes les stratégies imaginables de reproduction existent : de la monogamie du manchot empereur qui se conduit en père dévoué, à la fidélité absolue du castor dont la femelle ne cherchera pas à se reproduire avec un autre, même si son partenaire est stérile.

Toutefois, l’amour libre reste majoritaire et le schéma du mâle ou de la femelle tentant sa chance auprès du plus grand nombre est le plus courant. C’est notamment le cas chez nos cousins les gorilles, dont le mâle dominant surveille jalousement son harem, chez les chimpanzés qui pratiquent une forme d’échangisme généralisé ou pour la femelle du macaque magot, qui copule successivement avec tous les mâles du groupe (pour atteindre un rapport toutes les 17 minutes en moyenne lorsqu’elle est en chaleur3).

Ces pratiques différentes ayant perduré au fil des millénaires, elles semblent avoir prouvé leur pertinence du point de vue de l’évolution. Mais quelle serait, alors, la meilleure stratégie pour perpétuer une espèce : la fidélité absolue, le libertinage organisé ou une stratégie mixte ? Notre société y a répondu, au fil du temps, en adoptant la stratégie de la monogamie. Rappelons qu’en France, l’infidélité féminine constituait un délit jusqu’en 1975 (celle du mari ne l’étant que si l’adultère avait lieu au domicile conjugal). Hommes et femmes sont aujourd’hui égaux devant la loi, mais si l’adultère n’est plus un délit, il demeure encore mal perçu4.

Des avantages en nature

Les avantages de la monogamie sont évidents du point de vue de l’évolution. Ainsi, le fœtus, dont la gestation dure neuf mois, implique de se soumettre à toutes sortes de contraintes, tandis qu’élever sa progéniture nécessite une attention de tous les instants et mobilise ainsi d’importantes ressources (temps, énergie, etc.) qui ne sont pas consacrées à d’autres activités. Les techniques et les savoirs utiles à l’éducation et à la bonne adaptation de l’enfant à son environnement sont complexes : parler, lire, écrire ou conduire une voiture nécessitent un apprentissage long et difficile, deux adultes ne sont souvent pas de trop pour assurer des revenus suffisants et un enseignement complet jusqu’à la pleine autonomie de l’enfant (si tant est que cette autonomie puisse encore être pleinement atteinte de nos jours, étant donné la complexité croissante de nos vies5). Ainsi, si la polygamie généralisée peut procurer de nombreux avantages du point de vue de l’espèce – par exemple, dans le cas des Mormons, une explosion du taux de natalité6 –, force est de constater que cette stratégie n’a pas été adoptée par l’ensemble de nos sociétés.

Ainsi, chez les humains, la monogamie reste une valeur sûre pour l’évolution de l’espèce. En revanche, ce choix peut toujours être optimisé, notamment pour les individus qui possèdent les qualités nécessaires pour convaincre de nouveaux partenaires d’entretenir une relation en dehors du couple. Le modèle existe déjà dans le règne animal.

Ainsi, chez le héron bleu du Mississipi, « de nombreux  cas de relations extraconjugales ont été observées, le plus souvent entre une femelle dans son nid et un mâle venant du nid voisin, pendant que le « mari » de la femelle est occupé à chercher de la nourriture. La plupart des femelles ont initialement résisté, puis ont cédé, et certaines se sont mises à copuler avec une plus grande fréquence avec des partenaires extraconjugaux qu’avec leur propre partenaire. Pour réduire le risque d’être « trompé », le mâle adultère consacrait le moins de temps possible à se nourrir, revenait souvent à son nid pour surveiller sa partenaire et ne s’aventurait pas très loin dans le voisinage pour y chercher des relations extraconjugales. Celles-ci intervenaient généralement à un moment où la femelle sollicitée n’avait pas encore fini de pondre ses œufs et pouvait donc être fécondée7.

L’éthique est le propre de l’homme

Le héron adultère a donc adopté une stratégie mixte. Celle-ci permet de concilier la vie de famille – forme optimale pour assurer la protection et l’autonomisation des petits, et donc la survie de l’espèce – et une plus grande dispersion des gènes – qui permet de maximiser les chances de reproduction et de survie de l’espèce. Au détriment du héron trompé (et non trompeur) qui en sera réduit à nourrir une progéniture adultérine… C’est aussi la stratégie choisie, à hauteur de 6 % environ, par l’espèce humaine. L’homme a été façonné par le processus de l’évolution pour laisser le plus de descendants possible, mais à l’inverse du monde animal, nous avons aussi inventé un grand nombre de règles éthiques qui régissent la vie en société. Et il est intéressant de constater que celles-ci entrent parfois en contradiction avec les stratégies évolutives. C’est le cas pour l’adultère, et c’est ce qui nous distingue des animaux.

Johann Visentini

 

Pour aller plus loin : Le Troisième chimpanzé

 

[1] Ces données sont toujours délicates à calculer, ce qui explique un écart important entre les chiffres donnés par ces études, qui s’échelonnent de 3% à 10%.

[2] Les tests de paternité sont interdit en France, sauf en cas de décision de justice.

[3] Jared Diamond, Le troisième chimpanzé, Gallimard.

[4] Les françaises, par exemple, sont plus de 58% à redouter les dangers que celui-ci peut faire peser sur leur vie de famille.

[5] Rémy Oudhgiri, Ces Adultes qui ne Grandiront Jamais, arkhê, 2017.

[6] Au XIXe siècle les hommes Mormons ayant une femme avaient en moyenne 7 enfants, tandis que ceux ayant deux femmes en avaient une vingtaine, cf. Le troisième chimpanzé.

[7] Ibid.