Poil et Pouvoir

Par Bertrand Lançon

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168 pages

En bref

Et si l’exercice du pouvoir ne tenait qu’à un poil ? 
Rappel de notre animalité, la pilosité obéit depuis toujours à des codes puissants et dessine – bien au-delà de la cosmétique – de véritables hiérarchies sociales. Cheveux courts ou longs, calvitie, joues glabres ou barbues sont autant de modèles de gouvernement ou de subversion de l’ordre social. La pilosité est donc affaire de pouvoir mais sa signification varie d’une époque à l’autre. Le modèle glabre d’Auguste, les variations pileuses des empereurs romains, l’instauration d’un Christ barbu, la chevelure féminine, les cheveux longs des rois francs ou la barbe «  fleurie » de Charlemagne en disent long sur la question de l’autorité et notre perception de celles et ceux qui l’incarnent.
La trichologie – l’étude de la pilosité – montre que cheveux et barbes sont d’essence politique et que l’histoire s’écrit aussi au fil du rasoir. 

Bertrand Lançon est professeur émérite d’histoire romaine à l’université de Limoges. Spécialiste de l’Antiquité tardive, il en étudie les aspects politiques et religieux, médicaux et… trichologiques. Il a également publié une Histoire de la misogynie, chez Arkhê.

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Sommaire

I.

Hellénisme, romanité, coutumes « barbares » et christianisation

II.

L’Empereur glabre : Le modèle d’Auguste et de Trajan 

III.

Du foisonnement pileux des Antonins au poil ras des tétrarques

IV.

La pilosité des « mauvais » empereurs

V.

Glabre ou barbu : l’alternance de modèles antinomiques

VI.

Calvities et barbes philosophiques

VII.

La naissance de la tonsure monastique

VIII.

Quand le Christ devint un barbu aux cheveux longs

IX.

La chevelure féminine comme attribut de pouvoir

X.

Les cheveux longs des rois mérovingiens

XI.

Charlemagne : le mythe de la « barbe fleurie »

XII.

L’alternance des modèles pileux

XIII.

Pas jupitérien, augustéen !

XIV.

Une trichologie politique

Extrait

Quand l’empereur Julien fait l’apologie de la barbe

L’empereur Julien portait une barbe touffue et pointue. Il avait, de son propre aveu, plus de poil au menton que de cheveux sur la tête, et s’attribuait un menton de bouc. Dès son arrivée à Antioche, les habitants s’en moquèrent, disant qu’on devrait en tresser des câbles, le pressant de se raser les joues de près et raillèrent sa pilosité. Dans l’autoportrait qu’il brosse dans son pamphlet, Julien se décrit sans complaisance et non sans ironie. Il justifie sa barbe touffue par la rusticité de ses origines, par son mauvais caractère et son humeur morose, et même comme une punition du manque de beauté naturelle de son visage. Mais la barbe n’est pas seule en cause. Julien possède aussi une poitrine velue et ne se fait pas coiffer les cheveux. Pour mieux choquer ses lecteurs antiochéens, qui, dit-il, ne supportent pas les coiffures négligées, il assure que les poux s’y promènent.

Il concède quelques inconvénients à cette pilosité négligée. D’une part, il doit manger et boire avec délicatesse pour ne pas avaler ses propres poils ; d’autre part, tout en réfutant que sa barbe puisse être une gêne pour donner et recevoir des baisers, il admet qu’elle en est une pour leur suavité.

Mais il délaisse bientôt l’ironie pour se défendre en moquant à son tour ses détracteurs. « Vous êtes tous beaux, lisses et glabres », leur dit-il. Il les défie d’arracher sa barbe de leurs « blanches mains débiles ». Il les brocarde pour leur soin à s’épiler, qu’il s’agisse des jolis garçons ou des femmes, pour leur demande incessante de spectacles où se produisent des jeunes gens lisses. La critique se fait plus vive : selon Julien, les habitants d’Antioche aspirent à la félicité des Phéniciens, c’est-à-dire davantage au linge frais, aux bains chauds et aux lits qu’au respect dû aux lois.

On voit dès lors où se porte l’estocade. Même vieux, écrit-il, les Antiochéens désirent paraître masculins par le front et non par les mâchoires. À cette distinction policée et poncée, Julien oppose sa poitrine qui, jamais épilée, évoque celle des lions, et sa barbe hérissée qui, jamais rasée ni peignée, évoque la sagesse des philosophes. Déçu par les critiques, Julien avoue qu’il pensait se conduire en Grec chez des Grecs. Et l’on voit cet hellénophone hellénophile invoquer la simplicité rustique des Latins. Il ignore, écrit-il, quelle était l’apparence de la barbe de Caton en visite à Antioche ; mais il rappelle sa grandeur d’âme et de vertu sous l’aspect méprisé du philosophe.

Il est clair qu’à ses yeux, la peau lisse et soignée, le soin porté aux joues et aux cheveux, ne correspondent en rien à une quelconque sagesse, mais témoignent d’un amollissement dans le luxe et la coquetterie. Il leur oppose la rusticité du philosophe et celle du militaire qui a combattu les barbares aux confins des Gaules. En cela, il rejoint le discours catonien, mais aussi un topos des auteurs latins sur la simplicité romaine et le rejet des élégances grecques […]