bikini body beach

Obsédée par son bikini body, elle oublie d’aller à la plage

Ces trois dernières années, j’ai dû passer une quinzaine d’heures en bikini. Quinze misérables petites heures contre douze mois de mortification plus ou moins sévère. 
Avec la promesse du retour de l’été et des vacances surgit immanquablement une autre pensée, bien moins réjouissante : il va falloir commencer à songer à votre beach body/bikini body/summer body. Prêtes pour le grand exercice de mortification ?
Si vous appartenez à cette catégorie de la population française qu’on a coutume de désigner comme de sexe féminin, il est probable que vous soyez familière de cette étrange sensation d’angoisse qui surgit aux alentours de fin février – mi mars pour les plus chanceuses. Une légère panique teintée de fatalisme qui vous prend sans prévenir alors que vous vous apprêtez à entamer votre ultime raclette hivernale ou votre quinzième part de galette à la frangipane. Soudain, vous vous rappelez que les jours vont bientôt raccourcir, les oiseaux recommencer à chanter, le printemps arriver et, à sa suite, l’été et ses mille promesses de soleil, de plage et de farniente. Alors, oui, à moins d’être parfaitement masochiste, tout cela devrait spontanément vous réjouir. Sauf que. Avec la promesse du retour de l’été et des vacances surgit immanquablement une autre pensée, bien moins réjouissante : il va falloir commencer à songer à votre beach body/bikini body/summer body. Autant d’appellations matraquées à coup de hashtag sur tous les réseaux sociaux pour désigner l’allure qu’aura votre pauvre petit corps une fois enfilés les quelques centimètres carré de tissu qui désignent ce qu’on appelle un maillot de bain.

Neoness, le quinoa, Mona et moi

L’été est dans quatre mois, mais le compte à rebours a déjà commencé. Alors que vous êtes aussi sportive que Vladimir Poutine est démocrate, vous vous abonnez dans un club de sport hors de prix. Parce que votre teint n’est pas suffisamment hâlé (normal, on est en fé-vri-er), vous investissez dans une crème autobronzante qui vous fait systématiquement ressembler à un cake marbré. Vous abandonnez le formidable menu complet de votre cantine d’entreprise pour lui substituer des sachets de quinoa bio absolument insipides. Tout cela alors même que, bien souvent, vos contraintes professionnelles feront que vous n’aurez pas même le temps ou l’argent de poser ne serait-ce qu’un demi-orteil sur une plage de sable chaud six mois plus tard. J’ai fait le calcul : en tout et pour tout, ces trois dernières années, j’ai dû passer une quinzaine d’heures en bikini. Quinze misérables petites heures contre douze mois de mortification plus ou moins sévère. 

J’entends déjà les féministes rugir – et elles ont raison. N’est-il pas grand temps pour nous autres femmes, de nous libérer de ce travail d’objectivation parfaitement aliénant ? Oui mais voilà, les choses ne sont JAMAIS aussi simples. Il ne suffit pas d’avoir dressé un autel à la gloire de Mona Chollet dans sa chambre (Mona, si tu m’entends, je t’aime) pour devenir, d’un coup de baguette magique, une femme libérée. L’une de mes amies qui, comme moi, approche de la trentaine, a développé une thèse parfaitement réjouissante à ce sujet : selon elle, nous appartenons à la dernière génération sacrifiée. Celle des jeunes femmes à qui leurs mères ont appris dès la puberté à faire la chasse aux poils, aux plis, aux stries, aux mille petites imperfections qui jalonnent l’épiderme féminin. Qui ont fait leur apprentissage de la féminité en lisant le Elle ou le Marie-Claire de leurs aînées. Résultat : je n’imagine pas exposer mes jambes sur une plage sans être certaine d’être parfaitement épilée. 

Bikini body versus Bodypositive

Mais il paraît que les choses évoluent. Ces mêmes réseaux sociaux qui voient fleurir des #summerbody, #bikinibody ou #beachbody ont aussi donné naissance au bodypositive – un mouvement créé sur Instagram pour valoriser une autre image du corps féminin, moins normée. Depuis, des milliers d’utilisatrices exposent leurs rondeurs, leurs vergetures ou leurs poils sur le net dans un geste de rébellion par l’image à la féminité control freak exposée habituellement sur le réseau social. Sentant le vent tourner, marques et influenceurs ont décidé que – finalement – la cellulite, c’était chic. Alors oui, tout ceci est formidable. Même s’ils restent minoritaires, de nouveaux espaces d’acceptation de soi s’inventent sur un réseau qui a pourtant construit une partie de son succès sur l’invention de filtres embellissants et/ou amaigrissants. 
Reste comme un léger malaise lorsqu’on constate que ce même mouvement, s’éloignant de l’esprit des origines, a fâcheusement tendance, ces derniers temps, à produire de nouvelles normes de beauté là où il prétendait, enfin, subvertir les canons esthétiques contemporains. Il suffit d’observer les quelques mannequins « grande taille » qui commencent à faire leur apparition dans les pubs de prêt-à-porter pour comprendre que le combat est loin d’être gagné. Comme si le spectacle de la normalité était, définitivement, insoutenable, ce ne sont que visages de madone et corps parfaitement proportionnés qui s’affichent – même si, oui, les hanches sont plus larges que de coutume et les cuisses plus rondes. 
Et les femmes ne sont plus les seules touchées… Réjouissez-vous messieurs, dans nos sociétés marquées par une mise en concurrence généralisée des individus, maîtriser votre apparence est devenu, pour vous aussi, un enjeu de survie sociale. À moins que vous ne souhaitiez être perçu comme un être paresseux, faible, dénué de volonté ou pire, improductif. Il suffit de se reporter aux chiffres attestant de la discrimination à l’embauche des personnes en surpoids pour comprendre que l’obsession pour notre corps structure plus que jamais notre société. Voire qu’elle atteint une ampleur inédite, alimentée comme elle l’est par les flux d’images dont nous bombarde la grande machine Internet… et que nous alimentons également allègrement. Face à cette vaste hallucination collective, les quelques milliers de photos de vergetures postées sur Instagram semblent encore bien minoritaires…
Elena Scappaticci