Pourquoi Satan a-t-il des cornes ?

Jadis cantonnée à un cadre religieux défini par l’Église, la figure du diable s’est progressivement sécularisée, en adoptant des traits plus humains et une portée diffuse : elle demeure néanmoins aussi puissante qu’auparavant, et continue de hanter les œuvres des artistes et les esprits des hommes, qu’ils soient religieux ou profanes.

Satan, le Roi des Enfers, le Porteur de Lumière, le Tentateur, l’Accusateur, le Prince du Monde : le diable porte autant de noms que de visages. Au cours des siècles, le portrait du diable s’est construit sous les coups de pinceaux successifs des artistes ; ces différentes représentations influencent, aujourd’hui encore, notre manière de le penser, de le concevoir, de le dessiner. Dans son Portrait du Diable, Daniel Arasse apporte un éclairage brillant sur cette figure des ténèbres.

En Occident, l’émergence de la figure diabolique découle de la tradition judéo-chrétienne, dans laquelle la figure du diable s’est structurée autour d’une conception manichéenne du bien et du mal : tandis que Dieu propage le beau, la vertu et le bien, le diable est le maître du laid, du vice et du mal, le prince des démons, celui vers qui convergent toutes les déviances et les déchéances du genre humain. Au XIVe siècle et au XVe siècle, la figure du diable est inséparable des injonctions religieuses : ses représentations se conçoivent sous l’œil attentif de l’Église, qui les utilise pour exhorter les fidèles à mener la vie du bon chrétien. Les artistes représentent Satan sous les traits effrayants de la Bête, antithèse radicale de l’homme et de Dieu. Les cornes dont il est régulièrement affublé rappellent aux fidèles que Satan n’a rien d’humain, car sa nature est le mal devenu chair.

Ses traits monstrueux sont évidemment un avertissement pour le pêcheur : suivre la voie du mal, c’est sortir de l’humanité et entrer dans l’inhumain, la bestialité. Invariablement associé à l’Enfer, au Jugement dernier, au chaos ou à l’Apocalypse, Satan est un archétype rigide, dont la représentation subit peu de modifications, du moins jusqu’au XVIe siècle.

diable

Influencé par le courant humaniste, la peinture italienne de la Renaissance siècle opère une rupture radicale avec les représentations traditionnelles du diable. Michel-Ange fait office de précurseur en la matière : outré par les critiques que le cardinal Biagio da Cesena avait formulé à l’encontre de sa fresque du Jugement dernier, il décide de représenter ce dernier sous les traits de Minos en enfer, entouré de démons, un serpent enroulé autour de ses jambes. Ce qui aurait pu être considéré par l’Église comme un sacrilège fut une véritable révolution dans la représentation du diable : désormais, le mal n’était plus incarné en une bête, mais en l’être humain même. Il n’était plus représenté par une seule figure, car il pouvait revêtir les traits de tous les hommes. De même, le mal ne fut plus considéré comme une tentation extérieure à l’homme, mais comme une partie intégrante de son être.

Cette dernière conception a tout particulièrement influencé la vision actuelle du diable : aujourd’hui, on ne se demande plus qui est le diable, mais qui, parmi les hommes, l’incarne. Lorsque l’on demande à des individus choisis au hasard de désigner des figures évoquant le mal, ils répondent presque toujours en mentionnant des personnages historiques qui, par leurs actes, se sont distingués négativement du commun des mortels et de la société des hommes : Adolf Hitler, Osama Ben Laden, Saddam Hussein ou George Bush Jr sont régulièrement désignés comme étant des incarnations parfaites du mal.[1]

Jadis cantonnée à un cadre religieux défini par l’Église, la figure du diable s’est progressivement sécularisée, en adoptant des traits plus humains et une portée diffuse : elle demeure néanmoins aussi puissante qu’auparavant, et continue de hanter les œuvres des artistes et les esprits des hommes, qu’ils soient religieux ou profanes.[2]

Pour aller plus loin : Le portrait du Diable

[1] Enquête réalisée en 2015 par Hank et al.