La théorie des jeux et Trump

Pour ce joueur de poker reconnu, traquer et investir les failles des individus qui l’entourent est son principal atout dans ce jeu de bluff gigantesque qu’est la politique.

Qu’est-ce qui fait la victoire d’un candidat aux élections présidentielles ? Quelles machinations travaillent son esprit ? Quelles stratégies ourdit-il en secret ? Si vous vous posiez la question, la Théorie des jeux pourrait avoir la réponse.

La théorie des jeux

La théorie des jeux s’intéresse à l’analyse des comportements humains en situation de conflit et de négociation. Théorisée dès les années 40 par le mathématicien John Von Neumann et l’économiste Oskar Morgenstern, elle a traversé les décennies et les sciences : l’économie, la biologie de l’évolution et les relations internationales s’en sont rapidement emparées, captivées par l’universalité de ce jeu sans règles. Plus actuels, John Nash y a amené la notion d’équilibre et Ken Binmore l’a démocratisée en l’appliquant à des situations de la vie quotidienne. Éternelle, fascinante, la théorie des jeux nous propose de pénétrer dans les limbes des esprits les plus énigmatiques et de leur relation avec autrui.

En effet, la théorie a ceci d’exceptionnel qu’elle s’applique à toutes les personnalités, et à toutes les espèces, humaines et animales, même celles jugées irrationnelles dans leur évolution naturelle. Même Donald Trump. Son langage enfantin, ses manières indélicates et son programme farfelu lui ont pourtant valu d’être placé au premier rang des personnalités psychotiques par beaucoup de médias. Et si les vociférations du candidat n’étaient qu’une stratégie ?

Tactique et théorie des jeux

Pour le psychologue Ben Michaellis, Donald Trump serait un tacticien narcissique dont le succès s’expliquerait par sa capacité à exploiter les peurs profondes de l’Américain moyen. Pour ce joueur de poker reconnu, traquer et investir les failles des individus qui l’entourent est son principal atout dans ce jeu de bluff gigantesque qu’est la politique. On se souvient de ses propos railleurs à l’encontre de John McCain, qui avait été fait prisonnier durant la guerre du Vietnam, ou de ses propos misogynes envers les femmes qu’il ne trouve pas à son goût. Calculateur, il exploite le manque d’informations de ses partisans pour mentir près de 60 fois lors de son débat avec Hillary Clinton, sachant que, comme dans tout bon poker, l’ignorance des autres est sa quinte flush.

Pourtant, Donald Trump commence le jeu avec peu de cartes en main : outsider de la vie politique, il est critiqué pour son inculture et la simplicité de ses élocutions. Marginalisé dans son propre parti, honni par nombre d’acteurs de la société civile, abandonné par son directeur de campagne à quelques semaines de l’échéances, la machine Trump semble se gripper rapidement, comme dans une partie où le joueur exalté a poussé sa posture trop loin dans la caricature. Cet homme politique hors normes ne convoite pas la vérité, il recherche le jeu, la dispute, et donc le pouvoir. Il ne veut pas occuper un poste, il désire un trône.

Son discours aux antipodes des codes politiques classiques le met dans la position confortable de celui qui peut dépasser toutes les limites : comme dans une comédie grinçante, Donald Trump rit des handicapés, des femmes, des migrants, sans que le nombre de ses partisans ne diminue.

Le jeu de la poule mouillée

De tous les candidats politiques, Donald Trump est le seul prêt à se mettre en risque, quitte à se jeter du haut d’une falaise : cette stratégie kamikaze est connue dans la théorie des jeux comme le Jeu de la Poule Mouillée, finement décrit par Ken Binmore dans son essai La Théorie des Jeux, une introduction. Il est issu d’une scène culte du film La Fureur de vivre, dans lequel deux adolescents roulent à tombeau ouvert vers une falaise pour savoir lequel des deux freinera en premier. Donald Trump n’est qu’une version moins séduisante du fougueux James Dean : sous sa touffe improbable et son bronzage marqué, sa stratégie le hisse au sommet du pouvoir politique, qu’il mène d’une main de maître. Comme le maître du jeu.

Au matin du 9 novembre 2016, le monde découvre, stupéfait, la victoire de Donald Trump, un candidat totalement hors-normes dans le paysage politique. Il a démenti les sondages qui prédisaient la victoire de Hillary Clinton, écrasé les médias qui le présentaient comme un candidat moribond, et défié ceux qui soutenaient ses adversaires.

Pour aller plus loin : La Théorie des jeux