Le troisième sexe

Dès l’Antiquité, l’intersexualité intègre les récits mythologiques, entre les chimères, les centaures, les amazones ou les cyclopes.

Lorsque le Pape François s’insurge contre l’enseignement de la théorie du genre à l’école, ce n’est pas seulement l’Église catholique qui s’exprime à travers lui. C’est aussi des siècles de fantasmes, de peurs et de curiosité pour les êtres à l’identité sexuelle hors norme : un homme qui devient femme, une femme qui devient homme, un être qui naît homme et femme… Lorsque les distinctions traditionnelles de genre qui nous identifient s’estompent, que sommes-nous ? D’où vient la crainte à l’égard de ceux qui ne se conforment pas aux catégories traditionnelles du genre ou de la sexuation ? Réponse dans Le Troisième sexe.

Troisième sexe et intersexualité

Les débats sur le sujet ne sont pas récents : dès l’Antiquité, l’intersexualité intègre les récits mythologiques, entre les chimères, les centaures, les amazones ou les cyclopes. Hermaphrodite était un personnage de la mythologie grecque : fils d’Hermès et Aphrodite, il hérite de la force de son père et de la beauté de sa mère. Un éphèbe irrésistible : un jour qu’il se baignait dans un lac, une naïade du nom de Salmacis en tombe éperdument amoureuse. L’esprit brouillé par la passion, elle formule le vœu d’être unie à lui pour l’éternité. Souhait exaucé : Hermaphrodite se fond dans Salmacis, et ils ne forment plus qu’un seul être, mi-homme, mi-femme.

Les artistes immortalisent l’image, tandis que la société grecque les abandonne à la naissance. Et pourtant, certains d’entre eux raffolent des eunuques, ces esclaves castrés, friandises de luxe que seuls les plus riches pouvaient s’offrir.

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Une sexuation différente

Cette violence et cette ambiguïté vis-à-vis d’une d’un sexe ou d’une sexuation hétérodoxe est toujours d’actualité : sur le papier glacé des magazines de mode, on chante la gloire des hommes au visage d’éphèbe et des femmes à l’allure androgyne, mais on pousse des cris d’orfraie à la seule idée que Bruce puisse devenir Caitlyn. Les femmes occupant des postes traditionnellement masculins suscitent autant l’admiration que la répulsion, les hommes occupant une place au foyer suscitent des ricanements.

Les femmes occupant des postes traditionnellement masculins suscitent autant l’admiration que la répulsion, les hommes occupant une place au foyer suscitent des ricanements.

On admire les performances des sportives au corps d’acier, mais on se demande tout bas qui songerait à les épouser. Et lorsqu’on salue les progrès de la science sur la possibilité pour  l’être humain de choisir son sexe, ce n’est souvent que par simple voyeurisme. De manière générale, la société accepte l’idée d’un troisième sexe, mais préfère qu’il reste une idée, une curiosité, mythe ou fantasme assoupi dans les profondeurs de l’inconscient, dans la catégorie dédiée aux croque-mitaines ou aux extraterrestres.

Reconnaître le troisième sexe

En mai 2016, l’Assemblée Nationale adoptait un projet de loi relativement ambitieux, dont l’objectif est de faciliter le changement d’état civil pour les personnes transsexuelles et transgenre, même si celui ou celle qui désire changer de sexe doit encore prouver l’appartenance au sexe opposé par « une réunion suffisante de faits », soit réunir différents critères soumis in fine à un juge et dont il lui faudra apporter les preuves. Mais ce texte fut très accueilli fraichement au Sénat.

L’envie de reconnaître un troisième sexe se heurte à de nombreux tabous et aux questionnements latents sur l’identité, la nature de l’Homme, l’existence supposée d’un Dieu créateur qui s’offenserait de tout changement apporté à la plastique humaine. Cette perception religieuse du corps s’invite régulièrement au cœur de la sphère politique.

Les réflexions du Pape, la « Manif pour tous » ou  la réception du texte de loi au Sénat sont les symptômes de cette rupture qui s’opère entre les tenants d’une « sacralité » du corps humain et les tenants de la liberté à disposer de son corps.

Les réflexions du Pape, la « Manif pour tous » ou  la réception du texte de loi au Sénat sont les symptômes de cette rupture qui s’opère entre les tenants d’une « sacralité » du corps humain et les tenants de la liberté à disposer de son corps.

Au Pape François qui dénonce un « sournois endoctrinement de la “théorie du genre” » et à ses suiveurs,  il convient de répondre d’abord par le droit au choix, à la liberté et à l’égalité devant la loi, mais aussi par le droit à l’information et, par là-même, la nécessité de sortir des brumes du fantasme et des chimères.

Enfin, si aujourd’hui ce qui relève de la sphère privée, changement de sexe ou de sexuation se traduit en termes juridiques, au-delà du débat sur le religieux et la théorie des genres, la dimension subjective de ces choix pour chaque sujet doit être entendue.

Pour aller plus loin  : Le Troisième sexe