Les maniaques et la manie

Qui sont les maniaques ?

Le trait le plus frappant est indéniablement le trouble de l’humeur. Le sujet est exalté, adonné à un irrésistible enthousiasme, en un déchaînement d’affect spectaculaire. Ce que l’on peut littéralement appeler une joie folle, pas simplement une grande joie, mais la forme folle de la joie, excès euphorique dont on sent qu’il est étrangement disproportionné.

Dire de quelqu’un qu’il est « maniaque », c’est signifier qu’il a des goûts et des habitudes bizarres, qui frisent le ridicule et évoquent une sorte d’anomalie, sinon de pathologie. Mais au sens propre, ce terme désigne une pathologie particulière, comme l’explique Paul-Laurent Assoun dans L’Énigme de la manie.

Maniaques et troubles de l’humeur

Le trait le plus frappant est indéniablement le trouble de l’humeur. Le sujet est exalté, adonné à un irrésistible enthousiasme, en un déchaînement d’affect spectaculaire. Ce que l’on peut littéralement appeler une joie folle, pas simplement une grande joie, mais la forme folle de la joie, excès euphorique dont on sent qu’il est étrangement disproportionné.

C’est ensuite l’extrême mobilité. Le sujet se lance dans de folles randonnées, il est occupé comme si chaque jour était à l’étroit en ses vingt-quatre heures. Cet hyperactivisme impose l’insomnie. Pourquoi dormir en effet, perdre ces heures précieuses pour jouir d’un monde qui sans cesse s’offre à la jouissance ?

C’est enfin un régime singulier de la pensée et du langageLa fuite des idées est telle que toutes celles qui se présentent comme en vrac ont droit d’entrée dans la psyché maniaque, se succédant de façon incoercible. Elle se manifeste par une accélération de la pensée, surabondance d’idées que l’on compare à une sarabande, cette danse au rythme endiablé. On peut en effet parler de danse des idées. Pas loin d’ailleurs d’une danse de Saint-Guy mentale…

maniaco-dépressif ?

Le locuteur maniaque passe sans vergogne du coq à l’âne, en un discours décousu, et sautant d’une idée à l’autre, au mépris de la syntaxe, comme pour gérer cet embouteillage chronique d’idées ; la profération tournant à la verbigération, c’est-à-dire à un dévidage de mots et de phrases sans cohérence apparente. Parallèlement s’installe un régime de langage singulier : jeux de mots, régime d’association hyperlibre, par assonances (un son répondant à un autre son), usage exacerbé de superlatifs.

Cette pensée supposée libre s’avère diffluente et superficielle, ce langage chatoyant implacablement chaotique. Ce feu d’artifice ressemble plus à une glissade d’un signifiant à l’autre ou d’une matière sonore à une autre et à un patinage de la pensée qu’à une création verbale. Ce qui frappe dans ce triple registre, c’est la dés-inhibition généralisée qui lui donne son style d’excès. En un mot, plus rien n’arrête ce sujet excessif. Plus de limite, ni du phrasé, ni de l’agir, ni de la pensée. Cela se marque par une hyperstimulation des comportements, qui inclut les passages à l’acte, y compris de nature sexuelle, le sujet ne ressentant plus de séparation avec l’autre ni le monde extérieur.

Les enjeux de la crise maniaque : le complexe maniaco-dépressif

L’accès maniaque est donc par définition spectaculaire. On peut assister à son explosion chez un sujet jusque-là sans histoire qui se comporte avec extravagance. On a l’impression d’avoir affaire à la folie pure du sujet qui, selon l’expression triviale mais significative, pète les plombs. On notera notamment l’aspect désocialisant. Le comportement social normal suppose le contrôle et la régulation de l’humeur. Éclater de rire en public sans cause apparente est une petite incongruité sociale, grimper aux arbres sans raison signe la pathologie. Aussi l’accès maniaque se termine-t-il souvent par un trouble à l’ordre public, voire un outrage aux bonnes moeurs. Cette joie folle a été longtemps associée à son contraire, la tristesse mélancolique. D’où le cycle que l’on appelle maniaco-dépressif, depuis le psychiatre Emil Kraepelin (1856-1926), prenant la suite de la folie à double forme de Jules Baillarger (1809-1890) et de la folie circulaire de Jean-Pierre Falret (1824-1902). D’où la psychose maniaco-dépressive (Paul Camus et Gaston Deny, 1907), promise à une longue carrière. Jusqu’à ce que la notion d’un trouble bipolaire (Karl Kleist, 1879-1960) la détrône, lui donnant un style biologisant…

Paul-Laurent Assoun

Pour aller plus loin : L’Énigme de la manie